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Réflexion sur la dénonciation de la décadence par Valéry Giscard d’Estaing

La décadence: non, mais un système politique à bout de souffle qui n’est pas à la hauteur de la nation

AtlanticoDans un entretien accordé par Valéry Giscard d’Estaing, à la question de savoir si la France est en décadence, l’ancien Chef d’Etat répond « sans aucun doute » et ajoute que « le problème de la décadence est qu’elle ne s’arrête jamais ». Un processus commencé par les bouleversements des structures de mai 1968. Comment ce processus de « décadence » tel qu’exprimé par l’ancien Chef de l’Etat se manifeste-t-il selon vous ?

Votre question m’amuse, car ce point de vue de la décadence française, largement partagé parmi les élites politiques, est la raison pour laquelle j’ai un jour décidé d’arrêter mes travaux pour écrire Eloge du mode de vie à la française (Contemporary Bookstore).

Précisément, avant même de tenter de percer ce que révèle ce discours sur l’état de notre pays, sur son évolution, et sur son avenir, notons que ces propos sur la décadence française, du latin « cadere »  qui signifie « tomber », ne sont pas nouveaux pour certaines élites politiques depuis la disparition de Georges Pompidou, et pour certains intellectuels sophistes qui font le bonheur des médias en pleurant sur le malheur français avec des pensées aussi courtes que leurs CV scientifiques et universitaires. « La France est foutue », « la France est perdue », on connaît la chanson.

Du côté de certains professionnels politiques, ils ressemblent en effet à Valéry Giscard d’Estaing qui n’a « aucun doute » sur la « décadence » française. En a-t-il eu, un jour ? Il tient depuis longtemps pour acquis cette chute de la France dans le concert des nations. En 1975, il n’avait ainsi déjà aucun doute sur le fait que la France était une « puissance moyenne », à vocation plus ou moins mondiale, modérait-il parfois. Dernièrement, il avait inventé  l’idée de « grande puissance moyenne ».

Mais s’agit-il d’une « pensée » ? Le terme est-il bien adapté s’agissant de la production de notions vagues comme « grande puissance moyenne » ? Je ne vois ni analyse concrète, ni pensée conceptuelle, ni, encore moins, de dessein stratégique. Il y a même quelque chose d’un peu ridicule à vouloir déclarer « moyenne », une puissance qui, sur 193 Etats dans le monde, est la troisième puissance nucléaire du globe, un des cinq membres du conseil de sécurité de l’ONU, premier contributeur militaire de l’Union européenne, cinquième ou sixième puissance économique mondiale, deuxième zone économique exclusive du globe, avec 12 millions de Km2, seule puissance à être présente sur tous les océans, première puissance culturelle mondiale en matière de Théâtres, de monuments, de musées, troisième pays producteurs de films et de musiques… sans même évoquer sa puissance symbolique dont les derniers événements dramatiques ont montré la force. Certes, à l’ENA, d’où sont issues les élites politiques depuis trente ans, les mathématiques ne sont guère enseignées, ni l’histoire, mais au point de ne pas savoir calculer une « moyenne » sur 193 Etats, j’avoue en être béat, au point de me demander si supprimer l’ENA ne serait pas une des premières mesures salutaires pour sortir le pays non de sa décadence mais de son passager déclin.

Certes, nombre d’ « intellectuels » sacrés « penseurs » par les médias, emboîtent le pas. Les voilà à se désespérer de l’impuissance française quand ils devraient plutôt s’inquiéter de l’impuissance de leur pensée. Remarquez, pourquoi s’encombrer de faire des thèses, de passer des agrégations, de tenter une reconnaissance à la façon des élites intellectuelles des pays nordiques, germaniques, anglo-saxons, japonais ou chinois, en passant devant les jurys de pairs, pourquoi aller sur le terrain, produire des concepts et des analyses des situations concrètes, quand on a la chance de vivre dans un pays comme la France où le système médiatico-politique, dans le mépris de la vraie pensée choisit lui-même ses « penseurs », s’enivrant devant les provocations de l’ignorance.

A vrai dire, je ne vois guère de décadence, si j’en juge par ce qui a pu se produire lors de certaines périodes pur certains empires ou certains royaumes. Depuis la moitié du XIXème siècle, la première puissance mondiale militaire et économique est les Etats-Unis. Et la France, avec le Royaume Uni tient sa place, économique, militaire, culturelle.

A l’inverse, je vois bien un déclin momentané qui n’a rien d’inexorable. Il se lit par des critères objectifs, en termes industriels, financiers, commerciaux, par la faible croissance, la dette publique, le PIB,  le chômage.  Par le nombre de brevets, dont je rappelle qu’ils sont une clef pour l’emploi et la compétitivité, le manque d’attractivité des universités, le départ des chercheurs, l’inadaptabilité du droit à la concurrence internationale et à la libération des énergies.

Mais, plus encore, le déclin s’exprime dans la vie quotidienne.

En particulier par l’affaiblissement  moral, par corruption générale des mœurs. Le délitement de la société française se lit dans les incivilités, auxquelles les élites n’ont pas prêté attention. Il leur paraissait anecdotique que des femmes soient sifflées et insultées dans la rue, que des  jeunes ne se lèvent pas pour laisser s’asseoir des gens âgés dans les transports en commun, que les drapeaux français soient brûlés, que La Marseillaise soit huée, que des enfants soient rackettés, que des drogues soient vendues à la sortie des lycées, que des revendications multiples viennent gangréner le mode de vie généreux français. Il leur paraissait anodin que les particularisme cherchent leur satisfaction à travers l’Etat, et que cet Etat cède quasi systématiquement devant les manifestations de ces particularismes au lieu d’être au service du bien public. Il leur paraissait inessentiel qu’au nom d’une idéologie de la compétence administrative, l’Etat lui-même devient la propriété d’une caste ignorant tout de la stratégie, règne sur l’exécutif, le législatif et le judiciaire, s’emparant même d’une grande partie du monde économique.

Mais précisément, n’est-ce pas cela que veut la France profonde : la défaite des élites politiques qui se satisfont de la défaite française ? Une demande si forte que nombre de nos concitoyens sont prêts à soutenir des élites plus incompétentes encore, issues du ressentiment, du repli isolationniste et protectionniste, du rejet d’un système qui conduit la France à la faillite.

Car, la France le sait : le déclin n’est pas fatal. La France l’a déjà connu à certaines périodes de son histoire. Depuis Clovis, combien de fois ne l’a-t-on pas cru morte ? Sans même remonter aux différentes crises qui l’ont sérieusement amoindrie, sans même évoquer les seules périodes républicaines, depuis la Terreur jusqu’à aujourd’hui, c’est bien ce déclin moral qui fut cause de la chute de la IIIème République qui vota les pleins pouvoirs à Pétain. Ce déclin fut la cause de la perte de la IVème République. A chaque fois, la France s’est relevée en combattant les fatalistes et les apocalyptiques de la décadence.

Il fallut pour cela des stratèges qui avaient une vision de l’avenir et avaient décidé de mener une politique courageuse. Mon désaccord avec Valéry Giscard d’Estaing et tous les idéologues de la décadence porte sur le fond : l’esprit de la nation française n’a pas achevé le rôle qui lui est dévolu par l’histoire. Au contraire : cet esprit porte haut dans le monde, contre la vision ethnique des Cités, son projet de nation civique comme modèle de vie pacifiée pour toutes les nations, avec ses valeurs universelles  qui disent droits et devoirs de l’humain, droit et devoirs des minorités, droits et devoirs des individus. Qui disent qu’il faut rendre à Dieu ce qui appartient à dieu et à César ce qui lui appartient, clef d’une laïcité respectueuse de la liberté de chacun dans l’égale dignité. Cet esprit présente en modèle son mode de vie sucré, dont le sens caché est la joie de vivre ici et maintenant, avec son partage du pain et du vin, ses arts de la table, sa galanterie, son culte de la littérature, des artistes, des fêtes où se mêlent fraternellement les citoyens. Un modèle où l’humanité se découvre peu à peu, par ses french doctors comme par son croissant, comme humanité. Il reste à former une élite politique qui soit à la hauteur de cette nation.

Atlantico: De la période de décadence naît inévitablement une période de confusion, parce que les structures auxquelles les gens sont habitués se disloquent, disparaissent, s’affaiblissent […] et cela ne peut s’arrêter que s’il y a une génération qui arrive et qui veut autre chose. La génération de la société de consommation qui nous a gouvernée depuis 1968 jusqu’à maintenant a été très néfaste en fait ». Famille, couple, vie spirituelle… En quoi l’épisode de mai 68 a-t-il pu porter atteinte aux structures de la société française ?

Yves Roucaute : Mai 68 fut un moment de la vie de l’esprit de la nation, celui où elle mit en doute ses certitudes. Il fut un certain bouillonnement dont certains aspects furent positifs car il ouvrit le pays sur de nouvelles formes d’art, de nouvelles perspectives scientifiques, de nouvelles exigences d’organisation de vie et de communication transversale et horizontale contre la vision pyramidale et fermée du monde. Songeons seulement au fait que la télévision était réduite à une télévision d’Etat, contrôlée par le pouvoir politique, que les radios libres étaient interdites, que l’administration se pensait au dessus des lois du monde ordinaire au point d’intervenir dans l’anonymat.

Mais ce bouillonnement fut aussi une sorte de retour à l’adolescence, un moment de dérèglement moral où le relativisme régna jusqu’à ne plus savoir hiérarchiser, jusqu’à ne plus reconnaître le maître de l’élève, le comportement citoyen du comportement incivique, les règles d’assimilation du laxisme, jusqu’à ne même plus savoir, malgré la Shoah, malgré les camps, malgré les massacres sur le globe, malgré les attentats contre des populations civiles, qu’il y a du Mal et pas seulement du mal relatif. Sans doute fallait-il en passer par cette phase d’adolescence pour que notre société redevienne mature alors que la troisième révolution industrielle approchait.

Mais le malheur de notre société est que certains dirigeants, à gauche et parfois à droite, ne sont pas sortis de cette adolescence tandis que d’autres, conservateurs, croient s’en être sortis en rêvant d’un retour en arrière.

Un Georges Pompidou avait pourtant ouvert la voie post 68. Il sut prendre en compte les nécessités d’ouvrir plus encore la France au monde tout en préservant le conservatisme des valeurs universelles, le mode de vie et la recherche de la puissance. Pas facile. Il fut en quelque sorte le premier néoconservateur français car il savait cette conjonction de la morale universelle, du patriotisme et de l’ouverture au monde et aux sciences. C’est sans doute pourquoi, catholique, comme l’était le général de Gaulle, il ne se laissait pas embarquer dans des débats inessentiels dont la gauche est spécialiste, des débats dits « de mœurs », faute de pouvoir affronter les défis majeurs de la France. Malheureusement il disparut trop tôt. Et l’on vit ainsi persister l’esprit soixante huit et bientôt arriver une armada de fonctionnaires relativistes, abordant le politique par la gestion au lieu de l’être par une stratégie de puissance, plus préoccupés par leur carrière que par la grandeur du pays, jugeant le pays à l’aune de leur médiocrité.

Atlantico: Si un déclin peut être résolu, la décadence appelle à un changement profond du système. Jusque quand le système actuel pourra-t-il tenir, quel est selon vous le seuil critique à partir duquel le système devra changer ?

Un Georges Pompidou avait pourtant ouvert la voie post 68. Il sut prendre en compte les nécessités d’ouvrir plus encore la France au monde tout en préservant le conservatisme des valeurs universelles, le mode de vie et la recherche de la puissance. Pas facile. Il fut en quelque sorte le premier néoconservateur français car il savait cette conjonction de la morale universelle, du patriotisme et de l’ouverture au monde et aux sciences. C’est sans doute pourquoi, catholique, comme l’était le général de Gaulle, il ne se laissait pas embarquer dans des débats inessentiels dont la gauche est spécialiste, des débats dits « de mœurs », faute de pouvoir affronter les défis majeurs de la France. Malheureusement il disparut trop tôt. Et l’on vit ainsi persister l’esprit soixante huit et bientôt arriver une armada de fonctionnaires relativistes, abordant le politique par la gestion au lieu de l’être par une stratégie de puissance, plus préoccupés par leur carrière que par la grandeur du pays, jugeant le pays à l’aune de leur médiocrité.
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