Entretien

Entretien par le Cerf sur « Aujourd’hui le bonheur, à la découverte du sens de la vie »

Question n°1

Vous évoquez dans le chapitre sur la deuxième clef du bonheur « le chemin du progrès des spiritualités ». Peut-on dire que l’idée sous-jacente à votre grande saga est, qu’à l’instar des sciences et techniques, la sphère des idées et de la philosophie est elle aussi portée par une logique de progrès à travers les siècles ?

Oui, mais cette saga est aussi celle des sciences et des techniques, du développement économique et de l’art, de la métaphysique et de bien plus encore. Brûlant mes jours et bien des nuits, j’ai passé trois ans et demi à écrire ce livre pour raconter cette saga qui met la spiritualité, à sa place, au milieu du village (rires). Le bonheur fut mon fil d’or, car jusqu’ici, Voltaire semblait avoir eu raison : « nous cherchons tous le bonheur, mais sans savoir où, comme des ivrognes qui cherchent leur maison, sachant confusément qu’ils en ont une. » Et, j’ai débarrassé l’humanité de l’ivresse et trouvé la maison avec la formule du bonheur, ici et maintenant, et pour toute l’humanité. En même temps, j’ai découvert le sens de la vie. Pour diffuser largement ce joyeux message, ce livre se présente comme le carnet de voyage d’un vagabond en quête du bonheur rencontré près d’une fontaine de Central Park, à New York, appuyé sur sa canne, gourmand de miel, qui parle comme vous et moi. À la manière d’un Sherlock Holmes suivant l’évolution réelle de l’humanité, il va de gare en gare où il interroge sages, théologiens, philosophes, savants, mettant dans la poche de devant de sa besace les progrès spirituels et, dans la poche arrière, les poisons. Il part ainsi de l’état de nature de nos ancêtres nomades puis prend successivement l’Orient express, l’Occident express, le Mondial Express pour arriver à son objectif, la Vallée de Miel. Il recueille en chemin les quatre clefs du bonheur, ces antidotes aux quatre malheurs qui interdisent le bonheur et qui transforment les vies en vallées de larmes : ceux dus à la nature, aux autres humains, à soi-même, et, plus fondamentalement, ceux dus à la croyance distillée par les prophètes de malheur que l’humanité serait coupable et condamnée. Créez ! voilà la formule simple qu’il découvre à la source de la Vallée de Miel, voilà qui répond à la réalisation de la nature humaine en chacun car ce qui sépare l’humain de l’animal n’est pas l’intelligence, bien des animaux en ont, mais la créativité. Créativité dans la nature que nous transformons, envers autrui par les civilisations, envers notre corps, jusqu’à traquer les maladies génétiques. 

Vous avez raison, cette révélation du progrès spirituel de l’humanité apparaît à la fin de la seconde partie du voyage, avec la découverte de la seconde clef. À ce moment, le vagabond a depuis longtemps quitté la station « état de nature », en Tanzanie, où Mary lui avait fait découvrir la première spiritualité de l’humanité, l’animisme, la première forme de créativité, celle des outils et des habitats nomades, et la première clef du bonheur, celle qui dit qu’il faut dominer la nature autant que possible. Parti avec l’Orient Express, dès son arrivée à la station Sumer, il découvre la réalité de ce progrès spirituel qui sera confirmé aux stations Hindouisme, Bouddhisme, Confucius, Taoïsme, Shintoïsme puis à Jérusalem. Il constate que les sédentarisations et l’explosion des savoirs sont les effets d’une révolution spirituelle inouïe qui a brisé l’animisme. Après 2,8 millions d’années, si l’on se réfère à l’apparition du genre Homo, ou après 300 000 ans si l’on s’en tient à l’apparition de notre espèce, toutes les autres ayant été exterminées sur cette planète, l’humain a enfin pris conscience de son existence. Oui, il ne se conçoit plus comme un élément parmi d’autres au milieu des minéraux, des végétaux et des animaux gouvernés par des esprits de la nature. Hélas ! entre sacrifices humains, invention du totalitarisme, guerres coloniales et toute puissance des Maîtres de Vérité, le voyageur constate aussi que Sumer qui invente pourtant l’écriture croit l’humanité condamnée au malheur par les dieux. Quittant l’Égypte et Sumer, il découvre à la station « hindouisme » un nouveau progrès qui emporte l’Inde avec la reconnaissance du « moi » et de l’énergie qui régit le monde, et cette célébration du dieu Rama Lakshmi, symbole de l’amour universel pour les humains. Mais, il met dans la poche arrière de sa besace que cette spiritualité réduit les malheurs à des illusions et qu’au lieu du bonheur, elle propose le salut à coups de réincarnations dont le succès serait la dissolution du « moi » coupable dans la marmite cosmique. Poursuivant sa route vers l’Est, à la station « bouddhisme », enfanté par l’hindouisme, il voit enfin reconnaître la réalité du malheur du « moi » tandis que naît la bienveillance, la compassion, la joie de vivre avec autrui, hélas ! il constate aussi la même condamnation du « moi » qui serait responsable de son malheur, dû à son karma, à son passé, et qui devrait même considérer son malheur comme une chance pour trouver le salut par dissolution du « je » et du « moi » via un prétendu « éveil », dans la loi cosmique, ce qui serait non pas le bonheur mais le nirvana. Arrivant à la station « taoïsme », nouveau progrès :  tout être humain devient une parcelle de l’énergie divine du monde qu’il faut aimer, en ayant le souci de son corps et des conditions effectives de la paix. Hélas ! au lieu de chercher le bonheur pour le corps animé, ici et maintenant, cette spiritualité interdit à l’humain de connaître le monde et de le transformer, et, finalement le moi reste coupable et il doit être dissout. Et si le confucianisme enseigne qu’« il est bon d’habiter là où règne le sens de l’humanité », s’il appelle à connaître le monde et à résister aux faiseurs de crimes et de guerres, au lieu du bonheur du « moi », il exige la soumission du moi, l’obéissance aux autorités légitimes. Oui, le shintoïsme exige plus encore, avec le respect exquis de chacun à chaque moment de l’existence, mais finalement le « moi » doit se conformer strictement à la loi et aux mœurs, par une violence sur soi. C’est finalement en revenant vers l’Ouest, à Jérusalem, la station la plus développée de l’Orient Express, qu’il découvre la seconde clef du bonheur, qui l’éblouit et donne son sens à la première clef : transformer et assujettir la nature, développer les savoirs et les techniques, oui, il le faut pour affronter le malheur dû à la nature, mais contre le malheur dû à autrui, contre le crime, l’asservissement, le totalitarisme et les guerres de conquête, cela ne suffit pas : il faut aimer son prochain comme soi-même. Et le vagabond est alors ébloui par cette évidence : toutes ces spiritualités rencontrées sont comme les couleurs issues d’une même lumière blanche, et qui tendent imparfaitement mais de mieux en mieux vers l’amour dont le judaïsme dévoile la loi.

Mais la saga ne peut s’arrêter là. Le vagabond voit que cet amour pour autrui est un commandement. Le « moi » avec ce corps est toujours suspecté de vouloir désobéir, poussé par un potentiel désir coupable. D’où les interdits et les commandements, d’où la confusion du bonheur et du salut qui serait obtenu par respect de la loi divine au lieu de cueillir le jour. Le vagabond poursuit donc son enquête en prenant l’Occident Express. Il y rencontre des penseurs, parmi lesquels, à Athènes, des disciples de Platon, d’Épicure, et d’Aristote qui l’enthousiasme, dans le train, après Rome, il partage le miel avec un certain Augustin puis un disciple d’Ibn Rochd… à Paris, place de la Sorbonne, Thomas l’émerveille…Peu à peu, distinguant le bonheur du plaisir, de la joie, de la béatitude, de la contemplation, de la félicité, et de la sagesse, après avoir franchi le Pont Marie, près de la rue des Jardins saint Paul, lors de son déjeuner à la Taverne des Humanistes avec un disciple de Montaigne, il découvre la troisième clef du bonheur, ce « aime toi » pour cueillir le jour.

Mais, il reste spirituellement insatisfait. Car il voit la misère du monde et s’aimer soi-même mais qu’est ce « moi », comment ignorer les pulsions mauvaises en nous ? Quittant le Café des Modernes Gare du Nord, où il rencontre René, disciple de Descartes, il monte alors dans le Mondial Express jusqu’à Londres. Sans réponse suffisante au Café des Libéraux puis au Club Saint James des utilitaristes, revenant à Paris au milieu des manifestants et des grèves, découvrant au café de la République que si Gavroche est tombé par terre c’est de la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau, il fuit la spiritualité de la Terreur robespierriste en allant vers l’Est. Dans le train, il a la chance de partager son miel avec les disciples des grands philosophes allemands, certains flamboyants, comme ce disciple d’Hegel ou de Nietzsche, certains incohérents comme ceux de Karl Marx ou de Fichte, mais aucun ne satisfait sa soif. Arrivé à Weimar, dînant avec Bergson dans le restaurant où Goethe amenait ses amis d’un plat que le poète aimait, il va à quelques kilomètres de là, à Buchenwald. Et alors, ému aux larmes, contre Bergson et Nietzsche, il découvre que l’énergie peut être destructrice et que la liberté peut être la voie du mal. Et avec l’essence de la nature humaine, la créativité, la quatrième clef lui apparaît clairement : puisque le bonheur est de se réaliser soi‐même, créer est donc la quatrième clef du bonheur. Contre les forces de destructions, le « je » doit donc orienter l’énergie libre en nous, vers la créativité.

Mais sa quête n’est pas terminée. Elle se poursuit jusqu’au moment où il boit l’eau de la source de la Vallée de Miel, là où tout devient clair. Il découvre que les quatre clefs sont les quatre armes d’une philosophie morale et politique qui appelle à transformer la Cité afin de permettre la meilleure réalisation possible du bonheur pour chacun, de l’école de la créativité à la paix d’humanité. Et qu’elles sont aussi les quatre colonnes spirituelles d’une humanité parvenue à la connaissance de sa destinée et, en même temps, à celle de l’existence de l’énergie créatrice qui mène le monde. Car, sous l’influence de Max Planck, inventeur de la théorie des quantas, il découvre la première preuve de l’existence du « Dieu » d’amour par la créativité. Il découvre aussi qu’elles sont les quatre piliers de son temple intérieur pour être heureux jusque dans les pires malheurs, assuré, paradoxalement, que ce bonheur ici et maintenant, durera éternellement, qu’il l’emportera avec lui au-delà de cette vie. Car, par la créativité, il découvre la première preuve de l’immortalité de l’âme. Et il découvre enfin, c’est son dernier enseignement, que cette trinité du « je suis, j’existe, je crée » est liée à une autre trinité, par un quatrième élément, par ce souffle du « viens » mystérieux qui émerveille soudain sa vie et le rend à jamais confiant. Une saga spirituelle de l’espèce humaine oui, vous avez raison, mais aussi une saga personnelle, un parcours initiatique.

Question n°2

Au fil de ce périple, vous ne craignez pas de bousculer quelques dogmes contemporains concernant l’histoire des idées. Ainsi de l’attachement des philosophes des Lumières aux libertés individuelles, que vous contestez, des fantasmes portés par l’écologie radicale, que vous dénoncez, ou encore de l’apport de la « french theory », à laquelle vous vous opposez. Est-il important, dans notre quête du bonheur, d’avoir cette lucidité absolue sur les impasses de certaines écoles de pensée ? 

Comment faire autrement ? Je suis un philosophe et je vis selon ma vocation, la recherche de la vérité pour éclairer joyeusement autant que possible mon procvhain, sachant que, comme le vagabond sur le chemin de Weimar à Buchenwald, souvent je trébuche. Mais je reste néanmoins persuadé aussi, comme ma cousine qui est parvenue à fuir avec une de ses amies lors de la Marche de la mort organisée par les SS à la sortie du camp, et qui a ensuite aidé les survivants déportés, gardant en mémoire mon oncle Raoul, noyé par les SS de Mauthausen, que je peux et dois aider mon prochain. Ce que j’ai fait à Cuba pour aider prêtres et défenseurs des droits de l’homme, ce qi m’a amené en prison, en Afghanistan pour aider l’ami Massoud et mes frères en humanité musulmans au milieu des tirs talibans, en Allemagne de l’Est lorsque j’étais jeune pour faire passer à l’Ouest des amis de la liberté, au Vietnam pour aider des bonzes qui aiment l’humanité… Je ne crains ni le courroux ni la solitude car je ne suis jamais vraiment seul, vivant le mystère biblique du « viens ! » Et notez, qu’à l’exception d’un seul penseur, Emmanuel Kant, qui est d’ailleurs syumboliquement le seul à refuser le miel, à chaque étape de son voyage, le vagabond montre un grand respect pour toutes les pensées humaines qui l’ont précédé, ce que je dois à l’enseignement d’Aristote qui, avec Max Planck, l’inventeur de la théorie des quantas, qui apparaît dans la Vallée de Miel, est sans doute celui qui m’a le plus influencé. Il récolte ainsi leurs apports dans la poche avant de sa besace. Mais pour défendre la nature créatrice humaine, il ne fallait pas seulement dissiper les brumes mais couper au scalpel les idolâtries dont se servent les prophètes de malheur. 

Ainsi, le vagabond est pour l’écologie positive, celle qui mesure le progrès scientifique à l’aune du souci de l’humanité, comme la lutte contre les pollutions ou pour le contrôle de qualité des aliments, et non à la seule croissance et à l’augmentation de la quantité de biens matériels, même s’ils sont nécessaires pour affronter les malheurs dus à la nature. Mais, dès la station « état de nature », la rencontre avec Mary met à nu l’ignorance de cette écologie punitive des idolâtres de la nature qui jouissent d’interdire et de culpabiliser dans le mépris des vraies sciences de la nature, de la physique d’abord, et dans la négation de l’histoire dramatique du genre Homo. Songez qu’après 8 millions d’années, il restait seulement une espèce sur 21 du genre Homo et 500 000 survivants, il y a 11700 ans, à la fin de la dernière glaciation, les autres ayant été exterminées par les glaciations, les réchauffements, les séismes, les éruptions volcaniques, les tsunamis, les attaques animales, les épidémies virales, et j’en passe des douceurs de Gaïa. Et quand le vagabond sort de cette station état de nature, sur le chemin de Sumer et de l’Égypte, il découvre que cela continue, avec le changement climatique soudain et violent dont les récits de déluges comme la géographie portent témoignage, qui a suivi cette fin de la dernière glaciation, puis avec le réchauffement soudain et violent, il y a 4200 ans, qui a exterminé des populations entières dont celle de l’empire d’Akkad, tandis que se poursuivent les menaces, des séismes  aux éruptions volcaniques. Il saisit qu’il faut aller vers toujours plus de science et de croissance, donc vers toujours plus de liberté créatrice éclairée par le souci de l’humanité. 

Vous évoquez, à l’inverse de cet obscurantisme vert, le mouvement des Lumières si estimable par son désir de défendre la liberté de penser, de libérer la recherche dans les sciences et les techniques et de diffuser les savoirs. Mais le scientisme est une autre idolâtrie. Le vagabond découvre d’ailleurs que leur idéal n’était pas le bonheur pour les Cosette et les Gavroche, mais celui du « monarque éclairé », représenté par la terrible Catherine II de Russie qui les finance et les héberge même parfois, comme Diderot. Ils sont partisans d’un État fort orienté par des experts technocrates qui indiqueraient au législateur les lois nécessaires à la croissance et à la diffusion du savoir à la population. Par la croissance des biens, ils imaginent non pas le bonheur individuel mais « le bonheur général », obtenu par la croissance du savoir et économique. Ils défendent ainsi certains droits individuels qui se réduisent pour eux, en général, à la liberté de pensée et au droit de propriété et nulle part n’apparaît ce droit universel de rechercher son bonheur pour les Cosette et Gavroche qui ne sont pas propriétaires et ne peuvent cultiver leur jardin. On confond souvent droits individuels et droits de l’homme. La différence avec John Locke est frappante : celui-ci cherche la nature de l’homme pour en extirper ses droits individuels, eux partent du propriétaire et de l’homme de Lettres pour exiger le respect de leurs seuls droits. Et le vagabond découvre que le chrétien Victor Hugo a raison, si Gavroche est tombé à terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau. Et à la fin, il constate que c’est seulement en partant de la nature humaine réelle, que John n’avait qu’entraperçue, avec cette créativité native universelle, que l’on peut accéder à la plus haute moralité et aller vers la Vallée de Miel. Il est d’ailleurs formidable qu’inspiré par la spiritualité judéo-chrétienne, Thomas Jefferson ait écrit dans la Déclaration d’Indépendance américaine, « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits ». Non pas le droit au bonheur, marque d’une pensée tyrannique qui inspirera la Terreur et les Maîtres de Vérité des pays communistes, mais le droit de rechercher son bonheur. Et, comme le révèle le vagabond, cela se peut seulement car nous sommes libres et créateurs, nous sommes « homo creator ».

Quant aux disciples de Foucault, Deleuze et Derrida, revenus en Europe par les États-Unis sous la forme du wokisme notamment, le vagabond les découvre après s’être débarrassé dans la station Weimar, de Martin Heidegger, qui voulait l’envoyer dans la Forêt noire. Par des barricades, ils essayent d’arrêter le tortillard qui va vers la Vallée de Miel en prétendant que « je » et « moi » sont des illusions comme le serait la recherche du bonheur et ils tentent d’effrayer le voyageur avec quatre épouvantails en paille représentant de prétendus cavaliers de l’Apocalypse. Outre leur refus des sciences comme la génétique, la neurologie, la psychiatrie, la physique, mais aussi l’économie et la sociologie, ils nient l’histoire humaine qui a démontré, comme l’avait prouvé Freud, que toute civilisation exige d’opposer des interdits aux pulsions morbides. Je démontre que, de même que Martin Heidegger a soutenu le nazisme pour des raisons qui tiennent à sa métaphysique archaïque, en nostalgique des maîtres de Vérité des Âges des Métaux, ce que beaucoup depuis Hanna Arendt ont ignoré, eux ont été aussi dans la même nostalgie, et c’est pourquoi ils ont été les apôtres de tout ce qui détruisait les avancées de la liberté créatrice et des civilisations, voilant mettre les marges au centre pour faire exploser les démocraties libérales jusqu’à saluer pour certains le terrorisme, la schizophrénie ou la pédophilie. La police de la Valée de Miel dégage la voie tandis que le vent fait s’envoler leurs épouvantails de paille. 

Question n°3

Vous appelez à une « seconde révolution spirituelle de l’humanité », faisant écho à celle que l’homme a connu au néolithique. Quelle est le contenu de cette « seconde révolution » et en quoi peut-elle nous aider dans notre quête du bonheur ? 

Je me méfie de cette inflation du mot « révolution ». Si on la conçoit comme une rupture radicale, au niveau spirituel, la première révolution de l’humanité est celle du néolithique, celle de la sédentarisation, commencée il y a 11700 ans pour l’humanité la plus avancée et qui a mis fin au nomadisme. Depuis, toute l’histoire de l’humanité a été celle de la lutte entre la pensée magico-religieuse et la nature créatrice humaine. Nous découvrons seulement aujourd’hui ce qu’est la nature humaine avec son énergie créatrice. Mais si nous le découvrons c’est que ce moment de rupture où toute la vie humaine sera orientée vers la libération de l’énergie créatrice de chacun, ce que j’appelle La Vallée de Miel, est bien avancé. Je crois que sur ce point Hegel a raison, la vraie philosophie est toujours comme la chouette de Minerve, elle arrive sur le tard. Mon vagabond ne flâne pas par hasard dans le jardin des tuileries reconstruit autour des statues des femmes prix Nobel. Nous commençons à comprendre que la créativité est universelle. C’est cette célébration du « je suis, j’existe, je crée » que rencontre le vagabond à chaque instant, depuis qu’il arrive sur la plage de la Vallée du Miel jusqu’aux sources, en passant par la place de l’étoile où brûlent la flamme de la créatrice et du Créateur Inconnu, dans ce mot d’ordre des Temps contemporains qui ouvre la voie de la paix et de la vraie mondialisation, pied de nez moqueur aux marxistes et à ceux qui con fondent patriotisme et nationalisme: « Créateurs de tous les pays, Unissez-vous ! » C’est cette victoire qui s’annonce lorsqu’il constate la libération de la créativité humaine par l’abolition du travail, car l’activité n’est pas le travail et, contre les idéologies de la culpabilité, il démontre que l’humanité n’est pas condamnée au travail, grâce, notamment, à la robotique et l’intelligence artificielle qu’il célèbre avec une pensée admirative pour Aristote qui l’avait prévue. La Vallée de Miel est l’expression métaphorique de cette seconde révolution spirituelle qui nous débarrassera de toutes les idolâtries, celle de la planète, de l’État, du Marché, des Sciences, et j’en passe car la pensée magico-religieuse qui est en pleine débandade mais qui résiste encore et tente de renaître sans cesse avec ses petits Maîtres de Vérité. 

Question n°4

Au bout du voyage se trouve la conviction que chaque être humain est appelé à « faire de sa vie une œuvre d’art ». Mais pouvons-nous être tous des Léonard de Vinci ou des Peggy Guggenheim ? 

En arrivant sur la plage de la Vallée de Miel, le vagabond découvre une petite fille qui crée un château de sable, c’est la couverture du livre. Ému par elle, il comprend alors que la créativité est universelle et innée. Il se pose alors la question : comment cette créativité native que nous constatons chez tous les enfants, peut-elle être détruite ensuite ? Pourquoi tant de petites filles devenues femmes sont-elles condamnées à ne plus pouvoir créer ? La vérité est que les vallées de larmes détruisent cette nature humaine. 

Après avoir vu en rencontrant Albert, disciple d’Einstein, ce qu’était l’école de la créativité dans la Vallée de Miel, et la mise en œuvre d’une éducation où le plaisir d’apprendre se conjuguait avec le respect de ceux qui savent et l’apprentissage de sa propre créativité, il dépasse les cascades et il comprend avec Peggy, qu’il est permis à chacun d’être un créateur de sa vie. De la mère qui enfante à celui de l’enfant qui donne son dessin aux parents, de l’entrepreneur qui crée son entreprise au savant qui participe à un brevet, de l’agriculteur qui met en valeur son champ au cuisinier qui crée son plat, du bricoleur du dimanche à l’artisan qui fait son ouvrage… il saisit qu’il y a autant de manières d’être heureux que d’individus et que chaque individu peut l’être de plusieurs façons au cours de sa vie, voire au cours d’une même journée par exemple en participant à la création d’un produit le matin, en étant peintre quand on rentre chez soi. 

Et contre les Vallées de larmes qui flattent l’orgueil, la jalousie, la détestation ou la domination d’autrui, ce qui est le mauvais individualisme, notre vagabond prône l’individualisme de la créativité en harmonie avec l’énergie créatrice du monde, un peu comme Aristote vivait en harmonie avec ce qu’il croyait être le Premier Moteur du monde. Il constate qu’il n’y a pas de petits et de grands créateurs, que la créativité ne se quantifie pas, car elle tient à l’espace-temps de notre existence, à notre « je » qui s’incarne dans l’Être. Si la Vallée de Miel salue Marie Curie, ce n’est pas parce que cette savante est supérieure aux autres, mais parce qu’elle est une fleur merveilleuse née sur l’arbre de la créativité qui pousse toujours plus haut grâce à la créativité des autres, portant par sa propre nature, cette créativité plus loin encore. La saga de l’humanité ne révèle pas la construction d’une Tour de Babel qui voudrait, par orgueil, concurrencer je ne sais quel Dieu, mais les rhizomes d’une fraternité universelle qui lie Marie Curie à tous les physiciens et à tous les humains qui ont existé, sans lesquels elle n’aurait pu créer, de celle qui l’a enfantée à ceux qui ont assuré ses soupers, de Newton à ceux qui produisent son électricité. Et si l’art, auquel aucun disciple d’Emmanuel Kant n’a rien compris, poursuit son expansion avec le formidable art contemporain, c’est qu’il n’a jamais eu aucun lien avec le beau ce sentiment social formaté mais seulement avec la créativité du « je ». Ainsi, influencée par son père admirateur d’Eiffel qui préféra mourir dans le Titanic plutôt que de prendre une place à une danseuse de cabaret, après bien des déboires, Peggy, devenue riche, au lieu de vivre en rentière paresseuse comme le font parfois les héritiers, fit de sa vie une œuvre d’art. Elle devient galeriste Peggy et réalise sa nature en mettant son énergie créatrice à faire découvrir Jean Cocteau, Marcel Duchamp, Piet Mondrian, Henry Moore, Max Ernst, Vassily Kandinsky Jackson Pollock et, à la fin de sa vie, l’art africain. Certes, elle a connu des malheurs, mais être créateur de sa vie, que l’on soit cuisinier ou architecte, ne signifie pas éviter les malheurs mais ne pas passer à côté de sa vie, ne pas rater les moments de bonheur qui, parfois dans les pires malheurs, s’offrent à nous. Ainsi, on saisit le sens de sa vie et, si l’on découvre ce qui se joue, ce « viens », on découvre que ce que l’on prenait pour un petit bonheur, ici et maintenant, du bonheur d’avoir rendu heureux un enfant au petit don à un être souffrant, est recueilli en soi pour l’éternité.

Question n°5
Le miel accompagne à chaque étape le narrateur dans son voyage, dont le but final est du reste la « vallée de miel ». En quoi le miel est-il emblématique de notre quête du bonheur ici-bas ? 

Il y a beaucoup de secrets dans ce livre que je laisse au lecteur qui veut s’amuser le soin de trouver, comme le sens de la canne du vagabond, des hommes en blanc, des prénoms, des noms de rues, l’air des clochettes, l’eau de la source, ce « viens ! » … Il n’est pas une page sans un secret caché car je me suis aussi beaucoup amusé à écrire ce livre (rires). Le miel a une place privilégiée, on peut même lire ce livre en suivant la route du miel puisqu’il est à l’origine de la rencontre avec le vagabond et, à chaque étape du voyage, le vagabond en prend jusqu’à découvrir une Vallée qui est la Vallée de Miel. Il n’est pas anodin que le premier miel offert dans la station « état de nature » le soit par Mary, prénom intéressant pour ce premier personnage rencontré. Avec son mari Louis, si l’on en reste au niveau profane qui suffit pour lire ce livre, elle permit des avancées décisives sur l’évolution de la lignée humaine par ses recherches sur le site d’Odulvaï, en Tanzanie. Or, elle offre du miel de jujubier venu des arbres sacrés du Yémen, miel récolté depuis le paléolithique par les animistes mais qui a aussi une forte présence symbolique dans le judaïsme, le christianisme et même l’islam. Chacun en verra peut-être la signification. Et lorsque le vagabond quitte la station « état de nature » pour se diriger vers Sumer, Mary, encore elle, lui offre un pot de miel blanc d’Éthiopie, produit à 2000 mètres d’altitude à partir des fleurs jaunes « adey abeba », qui ressemblent aux marguerites. Or, ces fleurs sont un symbole d’espoir et de renouveau, ce qui n’est pas anodin alors qu’il va rencontrer la révolution néolithique dans la région du Croissant Fertile et qu’il termine sa route dans la Valée de Miel, qui est un appel à la révolution des Temps contemporains. Puis, alors que l’Orient Express traverse l’Égypte, un homme en costume blanc, le blanc est évidemment plus qu’ne couleur, lui donne du miel de fleur de nigelle, miel qui était offert aux dieux dans l’Égypte antique et c’est ce même homme qui l’informe qu’il n’a pas à s’inquiéter d’avoir un titre de transport car le droit de rechercher son bonheur est une grâce accordée à chacun pour lui permettre de donner un sens à sa vie. Bref, a chaque fois, le miel éclaire le voyage de façon, disons, plus ésotérique.  

C’est Nietzsche qui lui donnera la première indication du sens caché du miel en en faisant un symbole de la créativité. C’est ce qu’il appelle sa propre « ligne dorée », se donnant lui-même comme « l’offrande du miel » pour que naisse le prétendu superhomme créateur en chacun. Mais, plus tard, après avoir ingurgité lui-même en gourmand, une grande quantité de miel, arrivé à la Vallée de Miel, le vagabond saisit que cette idée de surhomme est encore une vision de prophète de malheur qui nie l’universalité de la nature humaine créatrice en chacun. Et lorsqu’il boit l’eau de la source, en regardant la vallée, il comprend que lorsque nous vivons selon notre nature, nous sommes nous-mêmes des offrandes de miel aux autres comme les autres sont des offrandes de miel pour nous et que cette Vallée de Miel n’est pas un lieu, mais notre esprit quand il crée. Ainsi le miel lui apparaît comme la grâce déposée en nous par l’amour de nous pour œuvrer naturellement vers l’amour d’autrui. Nous sommes des êtres butinés, créés à l’image de l’énergie créatrice elle‐même, semés pour donner à notre tour ce qui nous a été donné, pour libérer les autres de leurs peurs et de leur culpabilité, pour être des passeurs de miel, des passeurs de l’aimer. Il découvre alors que cette formule universelle, « créez ! »  disperse les brumes des vallées de larmes pour conduire dans la Vallée de miel en donnant le sens de la vie : aime éperdument, aime‐toi et aime les autres, crée ! Et, en humble passeur de l’aimer qui a confiance dans l’énergie créatrice du monde, le miel est un appel pour que chacun diffuse à son tour la joie de vivre à toute l’humanité. Et c’est pourquoi, à New York, quand le vagabond s’éloigne, je constate que son ombre disparait au soleil de midi, comme nos ombres disparaissent quand nous acceptons de vivre selon la grâce donnée à notre nature créatrice.