Entretien paru sur le site Atlantico, le 15 novembre 2024 : cliquer ici.
Altantico : Les nominations de Donald Trump à la tête de son administration ont provoqué beaucoup de réactions scandalisées aux Etats-Unis comme en Europe. Beaucoup décrivent cette administration comme une pétaudière en puissance voire comme une foire aux monstres avec Matt Gaetz, plusieurs fois visé par des enquêtes pénales, à la tête du département de la Justice ; Pete Hegseth, ancien journaliste de Fox News accusé d’être misogyne et ultra conservateur, Robert Kennedy Jr, un antivax notoire aux commandes des agences de santé publique et aujourd’hui Tulsi Gabbard à la tête du Renseignement américain alors qu’elle est accusée d’être ultra pro-russe et qu’elle était sous surveillance du FBI… pour vous qui avez déjà souligné (notamment dans les colonnes d’Atlantico) à quel point Donald Trump faisait montre d’une très grande cohérence idéologique que peu comprennent en Europe, qu’est ce qui échappe à ces commentateurs ?
Yves Roucaute. Ce qui manque souvent, c’est une analyse dépassionnée, froide et lucide du réel. Avant de vous répondre en détail, toutes ces nominations expriment la même détermination d’imposer, au niveau domestique comme au niveau international, la stratégie parfaitement visible et prévisible définie par Donal Trump, qui se trouve elle-même dans la lignée d’Andrew Jackson et de George Washington, pour ne citer que deux des Présidents dont Donal Trump se réclame explicitement et dont il avait mis les portraits dans son, bureau de la Maison Blanche quand il y était. Cette stratégie est identifiée par cette expression qui vient d’Andrew Jakson, en 1828, et qui n’est en rien un truc de marketing : « America First ». Elle a été rappelée avec constance par Trump lui-même depuis 2000 et son livre The America We Deserve.
Pour en rester au niveau domestique, « America First », cela veut dire écarter tout ce qui gêne la puissance américaine. En particulier les obstacles dressés contre la croissance non seulement par la bureaucratie, les réglementations, les impôts et la concurrence déloyale étrangère, mais aussi par l’insécurité, car investir est incompatible avec le crime et les délits, et par l’immigration clandestine qui crée des charges économiques et de l’insécurité. En songeant aux accusations de « fascisme », cela permet de percevoir, au passage, l’ignorance où conduit la prévention et l’idéologie : car un fasciste veut toujours plus d’État et de contrôle, ce courant républicain en veut toujours moins. Et c’est pour cela, contrairement à ce qui a été trop souvent dit, il n’est pas seulement le Président préféré des ouvriers et des peu diplômés, mais il est aussi le préféré du grand patronat dont j’ai du mal à croire qu’il soit sous-diplômé (rires). La bourse de New York n’a pas pour rien salué son élection durant plusieurs jours, avec un triple record, celui du S&P 500, de Dow Jones et du Nasdaq.
Atlantico : Et Matt Gaetz à la justice ?
Oui, vous évoquiez Matt Gaetz à la justice et les accusations portées contre lui. Je ne sais pas plus que personne ce qu’il en est de celles-ci. Il n’a jamais été condamné et, pour les Américains, c’est un fait important. Sur le fond, Matt Gaetz, est un excellent candidat pour le courant de Trump, non seulement parce qu’il fut un de ses plus fidèles soutiens mais parce que ce représentant de Floride symbolise aux yeux de nombre d’Américains ce pour quoi ils ont voté Donald Trump. C’est un farouche partisan de la baisse des impôts et de l’antiétatisme au point d’avoir été responsable, en octobre 2023, de la destitution de Kevin McCarty, Président, pourtant républicain, de la Chambre des représentants, qu’il jugeait compromis avec l’establishment et le parti démocrate pour avoir voulu un accord afin d’éviter une paralysie budgétaire. Il est opposé aux thèses du réchauffement climatique dont l’humanité serait responsable au point d’être favorable à la disparition de l’Agence de Protection de l’Environnement qui, selon son électorat, coûte cher et freine le libre développement des entreprises. Il est favorable au strict contrôle de l’immigration. Et il s’est rendu célèbre pour avoir imposé une peine obligatoire de 50 ans pour les viols d’enfants, de personnes âgées ou handicapées. Il est enfin l’un des dirigeants d’un groupe d’élus appelé « Freedom Caucus » que certains jugent fasciste et d’extrême-droite, ce qui leur évite de penser la particularité de ce courant libertaire, anti-étatiste, anti-règlementation, qui fait écho à une culture américaine anti-étatique. Si le fascisme c’est être contre l’État, alors probablement, nous voilà sur une autre planète. Il s’était d’ailleurs opposé à Trump lors des primaires de 2016 dans le parti républicain À l’inverse, sur les mœurs, il est très conservateur, par exemple, il est opposé à l’avortement.
C’est ce seul point qu’a retenu Harris. J’admets que ce point est important mais il n’était pas une préoccupation essentielle de l’électorat américain, sauf pour 13% environ, et, il ne l’est pas plus aujourd’hui. En étant réaliste, force est même de constater qu’en privilégiant qu’en privilégiant les questions de mœurs, comme l’avortement voire certaines revendications LGBT et en évacuant les autres questions, du pouvoir d’achat à l’inflation, de l’immigration, à la sécurité, qui étaient, à l’inverse au centre de la campagne, Harris a perdu des points. Cela plus encore chez les musulmans et les catholiques, les catholiques latinos en particulier, qui sont traditionnellement l’une des bases du parti démocrate. Ce fut une erreur de sa campagne dont d’ailleurs son échec cuisant en Floride fut l’un des signes avec celui de l’Arizona, qui avait été remporté par Biden en 2020 et où Trump obtient un victoire nette avec 52,2% des voix contre 46,7% pour Harris, et dans les deux cas, il n’est pas anodin que les femmes aient majoritairement voté Trump comme les hispaniques.
Tous ceux qui sont susceptibles d’être nommés aujourd’hui sont porteurs d’une même cohérence idéologique : la détermination à affronter l’administration, à dégraisser l’État, à détricoter les mesures coercitives contre l’industrie et l’agriculture prises au nom de la planète ou d’un libre échange non équitable, la guerre économique contre la Chine, la bataille contre l’immigration illégale, le point de vue d’America first dans les relations internationales etc…
Atlantico : Comment alors expliquer la presence de Robert Kennedy Jr ?
En choisissant Robert Kennedy Jr, Donald Trump n’est pas devenu un fou pris par je ne sais quelle pulsion mais parce qu’il est politique et rationnel jusqu’au bout des ongles. Il est évident que ce neveu de John Fitzgerald Kennedy est une prise de maître sur l’échiquier politique, en particulier dans l’électorat indépendant. N’oubliez pas qu’il y a des élections intermédiaires sénatoriales dans deux ans. Et notez qu’il ne le met pas à l’environnement, où les positions de Kennedy ne sont guère compatibles avec celles du courant Trump, mais à la santé. Cela non pour ses positions sur le vaccin mais pour sa détermination à dégraisser cette administration de la santé à laquelle ce Kennedy s’est frontalement opposé, dénonçant la tyrannie bureaucratique sur les individus et les États et l’industrie pharmaceutique à la recherche de gains.
Sa position sur le Covid n’a pas été partagée par Trump mais elle ne choque pas son courant. Ce qui peut étonner sauf si l’on sait qu’aux États-Unis, la grande majorité des Américains est allergique à l’idée que le centre administratif étatique de Washington puisse imposer une politique générale sur quelque domaine que ce soit, à l’exception de la défense et de la politique internationale. La santé n’échappe pas à ce rejet.. Les États-Unis ne sont pas la France, faut-il le rappeler ? C’est une vision partagée par les deux grands courants du parti républicains, les héritiers de Jackson, mais aussi de Jefferson, ce courant puissant qui avait été incarné dernièrement par Ronald Reagan, les Bush, John McCain ou, aujourd’hui Mitt Romney, John Kasich, Jeb bush, le frère de Gorge W. Bush… C’est aussi une vision partagée par une large frange du parti démocrate, comme on l’a vu lors de l’opposition violente entre le maire démocrate de New York et le gouverneur démocrate en avril 2020, où comme on l’a vu en Californie qui fut l’État où la pandémie a fait le plus de victimes. Ajoutons à cela qu’une grande partie de la population n’apprécie pas la façon dont les entreprises pharmaceutiques font leurs prix et distribuent des produits dont certains leur paraissent inutiles. Le scepticisme, largement partagé, a été alimenté par Donald Trump au nom des plus pauvres. Ainsi, tout en contrôlant ce Kennedy, il le laisse aller dégraisser le mammouth de la santé et mettre en garde cette industrie pharmaceutique, pas néanmoins au point d’empêcher les investissements dans la recherche. L’idée est de parvenir à un deal avec cette industrie.
Atlantico : Vous évoquez Marco Rubio, qui serait peut-être secrétaire d’État, équivalent du ministre des Affaires étrangères, et je vous interrogeais sur Peter Brian Hegseth et Tulsi Gabbard, et les relations avec la Russie. Selon vous les nominations qui concernent les question, internationales révèleraient la même cohérence ?
YR : Oui. Je sais que certains imaginent que Peter Brian Hegseth ou Tulsi Gabbard, seraient liés aux russes ou seraient des agents russes. Mais qui peut sérieusement croire ces affabulations selon lesquelles les Russes eux-mêmes le diraient ? Quel pays dévoilerait le nom de ses propres agents ? (rires) On ne comprendra rien à la cohérence de la politique internationale de Trump, envers la Russie et l’Ukraine, les pays arabes, la Chine, le Japon, l’Inde, l’Europe, si l’on occulte le fait qu’il est jacksonien, partisan de « America First ».
Ainsi, tous ceux qui sont nommés par Trump dans ce secteur ont la même caractéristique : ils veulent la puissance américaine. Ce qui signifie qu’ils ne sont pas favorables à des guerres quand ils peuvent les éviter car toute guerre affaiblit le développement américain.
Mais s’ils critiquent les guerres inutiles, ils ne sont pas pacifistes. Ne vous y trompez pas. Ils sont prêts à faire la guerre si les États-Unis sont menacés ou agressés. Ainsi, ils considèrent que les États-Unis ont un ennemi principal, la Chine, comme l’a expliqué clairement Donald Trump en 2015 dans son livre « Crippled america : How To make America Great Again ». Et il n’a cessé de le répéter. C’est aussi le point de vue de Peter Brian Hegseth, de Tulsi Gabbard, ancienne membre du parti démocrate ou de Mike Waltz, le conseiller à la sécurité nationale de Trump. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que Peter Brian Hegseth, si décrié par certains du parti démocrate, a combattu en Irak, qu’il a été volontaire pour aller se battre en Afghanistan, considérant que les États-Unis étaient menacés par le terrorisme islamiste. Et il s’est opposé à toutes les formes de wokisme dans l’armée, puis dans ses émissions télévisées, considérant que cette idéologie affaiblissait la puissance américaine. Vous le voyez, c’est toujours cette même idée simple, mais non simpliste, d’America First.
Atlantico : Cette position c’est du cynisme ?
YR : C’est du pur réalisme en relations internationales où les valeurs ne sont pas au centre, comme la liberté, les droits de l’homme, la situation des femmes, celle des minorités., la démocratie pluraliste…Seule compte la puissance, suivant d’ailleurs, ce qui est drôle, une grande tradition réaliste, longtemps dominante en France, que nous avons oubliée, qui avait été celle de Richelieu, de Bonaparte, de Charles de Gaulle… et qui a été théorisée notamment par Raymond Aron.
C’est d’ailleurs pourquoi un certain nombre de républicains du courant jeffersonien, attaché aux valeurs humanistes et au droit d’intervention dans le monde au nom des droits de l’homme, ont soutenu Trump avec d’extrêmes réticences ; si certains se sont ralliés à lui, comme Mike Waltz qui était conseiller à la sécurité nationale de Dick Cheney, le vice-Président de George W. Bush, d’autres, comme la néoconservatrice Liz Cheney, fille de Dick Cheney, ont été très réticents et certains l’ont même combattu en s’alliant avec Harris, comme Barbara Bush, la fille de George W. Bush. Il est d’ailleurs caractéristique de la faiblesse politique de Kamela Harris qu’elle n’ait pas tenté d’investir ces divisions du parti adverse.
Pour comprendre comment vont se jouer les parties sur l’échiquier international, souvenez-vous du mouvement America First au début de la seconde guerre mondiale. Dans ses lettres à Churchill, Roosevelt dit son désespoir de ne pas pouvoir envoyer officiellement des armes au royaume uni car le groupe America First tient le Sénat et contraint à la neutralité. Puis, il y a l’attaque par les Japonais des navires américains à Pearl Harbour, en décembre 1941. Et alors, immédiatement, le courant America First appelle à entrer en guerre. Et tous les courants se mettent d’accord pour l’alliance avec Staline afin d’abattre le nazisme. De même, ce courant patriote-America First, a soutenu Ronald Reagan pour abattre l’URSS, en acceptant les alliances, y compris avec les islamistes. Mais, plus tard, ce même courant, après avoir soutenu l’intervention en Afghanistan, s’est opposé au maintien des troupes sur place, considérant que ce n’est pas aux États-Unis de faire le gendarme du monde et d’imposer leurs valeurs à des pays étrangers. Ainsi, Trump a commencé à se désengager, et, pour d’autres raisons, Joe Biden a fini le processus et laissé les Afghans aux Talibans.
Il n’est donc pas besoin d’aller scruter une boule de cristal ou d’imaginer des agents secrets et des espions partout pour penser ce qui va suivre. Tous ceux qui sont nommés par Donald Trump pensent, comme lui, que l’ennemi principal est la Chine. Tous sont donc prêts à chercher les conditions de la paix avec la Russie pour un double objectif : permettre le retour des États-Unis sur les marchés ukrainiens et russes et décrocher la Russie de la Chine afin de ne pas combattre économiquement et stratégiquement sur trois fronts : la Chine, l’Iran et la Russie. C’est similaire, mais à l’envers, à ce que le jacksonien Richard Nixon avait fait, en 1972, en s’alliant avec la Chine contre l’URSS. Une belle manœuvre d’ailleurs.
À mon humble avis, Donald Trump va donc proposer un deal à la Russie : des territoires et le retour des échanges russo-américains avec la fin de certaines sanctions, mais pas de toutes, contre la paix. Soit Vladimir Poutine accepte, et Donald Trump affaiblit ainsi l’alliance militaire et économique avec la Chine pour désengager, en partie, la Russie de son alliance. Une alliance, rappelons-le, tout aussi marquée par le réalisme car la concurrence entre la chine et la Russie est une réalité historique et l’alliance est une alliance d’intérêts. Soit il n’accepte pas ou est trop gourmand, et Trump le traitera en ennemi. Il a pour lui un argument, son argument favori : la force. N’oubliez pas que le budget de la défense américaine s’élève environ à 842 milliards de dollars et celui de la Russie a moins de 130 milliards. Il serait possible, sans difficulté, de sécuriser le ciel ukrainien, ce que Joe Biden n’a pas voulu faire. Et ce que Trump peut faire. Et n’oubliez pas qu’en termes économiques, par rapport à la chine, contrairement à ce qu’ont dit nombre de commentateurs, l’avance américaine croît. Sans même évoquer l’avance technologique. Le pari de Donald Trump est que l’intérêt bien compris de la Russie, gouvernée par un Poutine tout aussi réaliste que lui, peut conduire à accepter.
Atlantico : Et toute la politique internationale suivra la même voie ?
YR. Oui, aussi si simple sans s’embarrasser d’experts en psychologie trumpienne. « America first », cela veut dire reprendre les alliances pour la puissance. En particulier avec le Japon et l’Inde, dont Trump a salué la « free road » qui vise à se libérer de l’encerclement économique chinois, mais aussi avec le monde arabe, en particulier avec son allié privilégié l’Arabie Saoudite, à laquelle les démocrates semblaient ne pas donner la même valeur stratégique. Les réactions positives à son élection dans le monde arabe montrent d’ailleurs que cette pratique claire des relations internationales qui ne se préoccupe pas des affaires intérieures des États, quand elles ne menacent pas les États-Unis, est bien reçue. Chacun y voit la possibilité d’un jeu d’intérêts mutuels.
La seule question ouverte sera de savoir comment régler la question du Hamas et du Hezbollah, détestés par les chancelleries arabes, mais non par les populations, tout en renforçant les liens avec ces chefs de gouvernements. Et cela en sachant que Trump, qui avait accepté la capitale d’Israël soit Jérusalem, est nettement plus pro-israélien que Joe Biden et qu’il a nommé comme ambassadeur l’un de ses plus proches, Mike Huckabee, pur produit de l’Arkansas chrétien, lui-même ayant été pasteur baptiste, farouche partisan d’un État israélien fort pour des raisons géostratégiques et religieuses… mais expliquer cela nous entrainerait trop loin et je ne pense pas que cela intéresserait vos lecteurs…
Atlantico : Elon Musk occupe une place particulière dans ce dispositif – Donald Trump l’a chargé d’une mission d’optimisation des coûts au niveau fédéral : en quoi est-il selon vous bien plus qu’un gadget ou qu’un caprice de milliardaire ?
YR : Sa nomination est le signal clair que l’isolationnisme n’est pas à l’horizon mais que sonne l’heure de la course à la croissance et de la conquête américaine, une sorte de conquête spatiale horizontale(rires). Il s’agit, d’un côté, d’abattre les mammouths étatistes, les règlementations de la dite « transition écologique » et l’idéologie wokiste qui lui est liée, et, de l’autre, de développer le nerf de la puissance aujourd’hui, que sont les nouvelles technologies, la robotique et l’intelligence artificielle. Libérer l’innovation, est le credo de la puissance. Voilà pourquoi Elon Musk, patron de Tesla et de X, l’ancien Twitter, a été nommé à la tête d’un ministère au nom inconnu jusque-là, celui de l’ « efficacité gouvernementale ». Et, on l’oublie trop souvent, avec lui est nommé un autre chef d’entreprise, Vivek Ramaswani. Ce milliardaire est moins connu du grand public et c’est dommage car il est encore plus caractéristique de la politique de Donald Trump et du retour du rêve américain. C’est un fils d’immigrés indiens, d’une famille pauvre, devenu président de sociétés en biotechnologies notamment. Dégraisser l’administration étatique, pour en même temps, un « en même temps » typiquement républicain, réduire l’endettement, les impôts, le chômage et propulser les innovations, c’est cela le sens de ces nominations et c’est cohérent.
Atlantico. Que réserve vraiment à l’Europe cette administration ? Et quelle serait pour la France comme pour Bruxelles le meilleur moyen de maximiser la relation transatlantique, sans renoncer à nos valeurs d’une part mais sans ignorer la réalité des rapports de force d’autre part ?
YR : Clairement, America First peut se décliner en Europe seulement avec des partenaires qui ont un intérêt mutuel avec les États-Unis. Donald Trump constate les rapports de force, il joue avec… ou il ne joue pas. S’agissant de ce que vous appelez « nos valeurs », Donald Trump ne s’en soucie donc pas directement, pas plus qu’il ne se soucie des valeurs de ses autres partenaires dans le monde, à l’exception d’Israël. Cela d’autant qu’il semble penser que les pays de l’Union européenne ne s’en soucient pas plus que lui, comme il l’a rappelé quand il a critiqué la politique migratoire d’Angela Merkel.
Rappelez-vous qu’il a salué le Brexit et il considère toujours que l’Union européenne a été créée pour concurrencer la puissance économique américaine. Il est confirmé dans sa vision par la politique de l’Union européenne qui impose des interdictions, des taxes, des réglementations, contre les productions américaines au nom de « ressources » de la planète qui seraient en voie d’épuisement et d’un réchauffement de la planète dû aux humains, ce à quoi aucun de ses ministres ni les milieux scientifiques qui l’entourent, venus essentiellement de la physique, de la chimie, des nouvelles technologies, ne croient. Tout laisse donc penser qu’il poursuivra sa politique de méfiance, de défiance même, envers l’Union européenne, comme il l’avait fait par ses taxes sur l’acier et l’aluminium, en 2018, et qu’il étudiera avec soin tous les marchés pour peser l’intérêt américain. Ajoutons à cela qu’il se méfie de ces pays européens qui freinent l’arrivée des produits américains mais laissent passer les intérêts chinois et qui réclament la protection américaine sans toutefois vouloir la payer. Il est clair, à cet égard, que les négociations sur le financement de l’OTAN et l’exigence d’atteindre l’objectif de 2% du PIB pour les dépenses militaires, vont recommencer.
Si les Européens souhaitaient maximiser la relation avec la première puissance économique scientifique et militaire du monde, la raison me semble indiquer qu’il faudrait entrer dans une relation de concurrence positive et non négative dans tous les domaines. Au lieu d’un repli, l’offensive. C’est le langage que le courant de Trump comprend et respecte. Dans un rapport de forces, n’est-il pas logique de créer un rapport des forces ?
Mais, que penser, depuis les États-Unis de Donald Trump, de l’Union européenne ? C’est un homme d’analyse. Il voit l’accélération du retard de nombre de pays européens qui, au lieu de se lancer dans la course à la croissance, source du financement de l’innovation, préfère la course aux réglementations et aux contrôles, menaçant les industries d’extraction et de transformation européennes, l’agriculture, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, la recherche scientifique dans la vraie science de la nature, la physique… À vrai dire, que cela continue, ne le dérange pas. Voilà un espace géopolitique potentiellement concurrentiel, qui ne cesse de se tirer des balles dans le pied et qui sera donc demain encore plus consommateur de ses brevets et de ses innovations. Et que dire, plus particulièrement, de la France, qui était le pays des Lumières et de la créativité libérée contre les obscurantismes, et celui de la générosité et des droits de l’homme contre le cynisme de la puissance ? Certes, du point de vue américain, il lui reste de beaux héritages, Donald Trump a d’ailleurs indiqué que c’était un « beau pays », et il est clair que l’imagination créatrice, comme le montrent tant de cerveaux qui partent outre atlantique, ne demande qu’à repartir de l’avant. J’ajoute que si Donald Trump ne parle quasiment jamais de la France, il est néanmoins ouvert à toute coopération qui favoriserait les intérêts américains. Mais, il n’ignore pas son maquis de réglementations et de taxes, son impuissance face à la bureaucratie française et européenne, sa persistance à vouloir régler son déficit public, 6,4% du PIB cette année, et sa dette, un ratio d’endettement à 112% du PIB, par toujours plus d’impôts, plus de contrôle, plus de règlements, ni cette idéologie écolo-wokiste française qui creuse le déficit, mine son économie, freine ses recherches, détruit son socle moral… idéologie que Donald Trump combat aux États-Unis.
À l’inverse, ceux qui sont perçus par Donald Trump comme de solides alliés européens avec lesquels il faut maximiser les relations, sont ceux qui permettent d’accroître la puissance américaine et qui trouvent un intérêt mutuel à le faire, notamment, le Royaume Uni, par ailleurs première puissance européenne en matière de biotechnologies, et les Pays Bas…Et le premier partenaire européen des États-Unis, est, logiquement, le Royaume Uni, à la 5ème place suivi par les Pays Bas. Mais preuve de la baisse d’influence de l’Europe pour les États-Unis, le premier ne représente que 3,7% de ses exportations, le second 3,5%, juste avant l’Allemagne. Et La France n’est qu’au 10èmerang, après le Brésil. Tous loin derrière le Canada, le Mexique, la Chine et le Japon. Et le commerce avec l’Asie s’élève d’ores et déjà à 40% environ du commerce extérieur des États-Unis.
La question donc aujourd’hui est clairement celle de savoir si la France et l’Europe veulent, ou peuvent, sortir par le haut du rapport de forces qui leur sera, sinon, de plus en plus défavorable. Une réflexion sur les moyens de la puissance et une éthique qui renoue avec l’humanisme né en Europe qui avait ensemencé le monde jusqu’à Thomas Jefferson, pour trouver une solution qui devrait se faire sans passions, s’il y en a, avec des femmes et des hommes pour la mettre en œuvre, s’il s’en trouve.