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La leçon de Donald Trump

par Yves ROUCAUTE

(publié Valeurs Actuelles. 14 Av

Sous titre.

Après les frappes en Syrie, « America First » reste le projet des Etats-Unis. Ni isolationnisme, ni interventionnisme : un patriotisme ouvert, derrière un exécutif fort. Chemin de toutes les nations qui veulent rester puissantes.

 

 

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Attribuer à « l’émotion », « l’inexpérience», voire à « l’influence » de son gendre, la décision de Donald Trump, ce 6 avril, de frapper les troupes du Président syrien Bachar al-Assad ? Tel est bien le drame de cette France d’en haut qui ne saisit pas la nécessité d’un exécutif fort pour jouer dans la Cour des grandes puissances. Imaginer « revirement »,« volte-face », « changement de politique » après la frappe qui a pulvérisé la base aérienne de Shayrat, responsable de l’attaque chimique du 4 avril sur Khan Sheikhoun ? Suivre les « experts » abonnés à la caricature anti-Trump des médias new yorkais qui fantasment sur un Président républicain qui « se dédit », « trahit ses électeurs », abandonne son projet d’« America First » ? Voilà qui interdit de penser la continuité dans le changement et de discerner à partir de ce projet fondateur du retour d’une Amérique forte qui associe recherche de la puissance et défense d’un mode de vie, le défi que doit relever à la France.

Car « America first » a été, et reste, le point de vue fondateur de Donald Trump. « Neutralisme », « isolationnisme », « pacifisme » ? Tous ces « isme » dénotaient un formidable quiproquo. Et annonçaient la déconvenue de ceux qui croyaient trouver dans son élection, la justification de leur inepte détestation ou de leur fantasque engouement.

« America First » est à l’origine la vision du monde de George Washington (1789-1797). Certes, « il faut cultiver notre jardin » (Voltaire) est bien son profond désir, entre ses pêcheries et son entreprise agricole de Mount Vernon, en Virginie. Et contre Thomas Jefferson, pro français, et Alexander Hamilton, pro-anglais, par le premier décret de l’histoire américaine (1793), il impose bien la neutralité dans la guerre entre France et Royaume-Uni. Isolationnisme ? Non, froid calcul d’intérêts seulement : ni Londres, ni Paris n’accroissent la puissance américaine. Dans son célèbre discours d’adieu de 1796, cet ex-admirateur de la révolution française, qui l’a consacré citoyen, met en garde ses concitoyens contre la fourberie de ceux qui cherchent à les entrainer dans des conflits qui ne les concernent pas, telles ces guerres napoléoniennes engagées au nom de la liberté. Mais quand l’intérêt des Etats-Unis est en jeu, George Washington n’hésite pas. Il prend les armes durant la guerre de 1754-1763 contre Français et Canadiens pour conquérir la vallée de l’Ohio. Commandant en chef de l’armée continentale, il vainc les Britanniques et les boute hors des Etats-Unis. Président, il met en place la future doctrine Monroe : interdiction pour tout Etat d’intervenir dans les Amériques, placée sous tutelle des Etats-Unis, sinon la guerre.

Jamais ce courant patriotique ne disparaitra. Parfois appelé « jacksonien », en souvenir du Président Andrew Jackson, isolationniste un jour, interventionniste demain, apôtre de la puissance toujours. On lui doit la plus grande victoire terrestre américaine, en 1815, à la nouvelle Orléans, contre les britanniques qui tentent de reconquérir la Louisiane. La conquête de l’Ouest contre les indiens. L’indépendance du Texas contre le Mexique. Protectionniste souvent, libre échangiste parfois, il gouverne selon les intérêts américains.

Le Comité « America First », créé en septembre 1940, au moment où le Japon signe un accord avec l’Allemagne nazie, s’en revendique ouvertement. Ses 800 000 membres refusent d’intervenir dans la seconde guerre mondiale. À l’exception de quelques militants antisémites, tel Charles Lindbergh, ces neutralistes croient deviner derrière les appels de Churchill à combattre fascisme, nazisme et militarisme nippon, une volonté impérialiste britannique. Mais le 7 décembre 1941, ils découvrent, horrifiés, le massacre des Américains et la destruction de leur flotte par les Japonais, à Pearl Harbor. « Nous avons réveillé un monstre » déclare l’amiral japonais Isoroku Yamamoto qui savait la force du patriotisme américain. Au nom d’American first, les militants s’engagent dans l’armée, à la façon de leur Président, Robert Douglas Stuart, Lieutenant colonel, qui sera nommé un jour ambassadeur de Norvège par son ami Ronald Reagan. Ou de Gerald Ford, engagé dans la Navy du Pacifique, devenu capitaine de corvette, qui sera le 40ème Président des Etats-Unis. Et l’Amérique sortira plus forte du conflit.

« Mon attitude face à la Syrie et Assad a beaucoup changé » dit Donald Trump, non son objectif, « America First ». Un changement dans la continuité influencé par le principe de réalité.

Le 4 avril 2017, la station de renseignement britannique basée à Chypre, dans les montagnes Troödos, chargée d’espionner les communications au Moyen Orient, intercepte une heure de discussions entre responsables syriens qui révèle l’utilisation de gaz innervant dans une attaque contre Khan Sheikhoun. Attaque confirmée par l’Agence de renseignement américaine qui surveille l’espace, la National Geospatial-Intelligence Agency. Sur place, une centaine de morts au gaz sarin, dont 27 enfants. Une violation de l’accord de 2013 entre Etats-Unis et Russie, entériné par Bachar al-Assad qui interdit « de développer, produire, détenir ou utiliser des armes chimiques ». Accord obtenu par un régime qui avait refusé La Convention sur l’Interdiction des armes chimiques de 1977.

Que faire ? Barack Obama, le 20 août 2012, avait menacé de frappes le régime syrien s’il utilisait des armes chimiques, une « ligne rouge » à ne pas dépasser. Il se contenta de rodomontades, le 21 aout 2013, quand furent gazées 1423 personnes dont 426 enfants. Reproduire ce comportement d’une Amérique faible, incapable d’imposer le respect des accords qui la lient ? Quelle crédibilité envers les alliés, d ’Israël au Koweït, du Pakistan à la Corée du sud? Quelle crainte pour les ennemis ? Que penserait la Jordanie, dont le roi venait de saluer « le courage » de Donald Trump ? L’Egypte du général Sissi, vilipendée naguère par Barack Obama, « profondément inquiet » de la victoire contre les Frères musulman, saluée par Donald Trump « pour son travail fantastique » ?

Donald Trump simule une action devant l’O.N.U. : il sait la Russie incapable de lâcher son allié syrien, déterminée à mettre son veto. Puis, devant l’échec programmé à l’O.N.U., il réunit son Conseil de Sécurité Nationale et décide de frapper, prévenant les Russes pour qu’ils retirent leurs avions.

L’Amérique est de retour. L’ «émotion » n’y est pour rien. Les départs de Stephen K. Bannon et de Michael Flynn ont été les signes annonciateurs de la cohérence recherchée par Donald Trump pour réaliser son projet « America First ». Comment assurer la puissance quand le nationaliste Stephen Bannon attaque le monde musulman dans son ensemble, origine de l’interdiction ratée de recevoir sur le territoire les citoyens de six pays musulmans ? Quand est programmé le « renversement » des alliances entre sunnites, Israël et Washington, déjà mises à mal par Barack Obama et ses relations avec l’Iran? Quand l’organe de décision militaire, le Conseil de Sécurité Nationale Américain, est transformé, en chambre de conseils, qui rend impossible les opération? America First ne peut se conjuguer avec Amérique faible.

La prétendue influence du gendre, Jared Kushner, ami d’Israël, mise en avant par tous ceux qui réduisent l’univers de Trump à leurs fantasmes de népotisme ? Son rôle est surtout de dégraisser l’administration centrale de Washington en impulsant, par réformes modérées, un management proche de celui des entreprises privées.

La clef fut la désignation du Général Herbert R. McMaster à la tête du Conseil de Sécurité nationale, avec autorité sur le choix des membres. Militaire émérite, spécialiste du contre-terrorisme, il est opposé à l’illusion qu’une supériorité technologique avec des forces spéciales connectées et des bombardements ciblés suffiraient pour l’emporter. En 1997, il écrit un livre (Dereliction of Duty) qui étudie les erreurs du commandement dans la guerre du Vietnam. Patriote et croyant, refusant nationalisme et isolationnisme, il conjugue recherche de la puissance et valeurs morales de l’Amérique, proche des thèses néoconservatrices. Il croit au rôle des stratèges pour les objectifs, des diplomates pour les alliances et aux soldats sur le terrain pour combattre l’ennemi et en « travailleurs humanitaires » pour pacifier, comme au Kosovo. Avec lui, entouré du Général James Mattis et de Rex Tillerson, secrétaire d’Etat, ex PDG d’Exxon, tous partisans d’un renforcement des liens avec les alliés du Proche Orient, Donald Trump a pris la décision de la frappe au nom de l’intérêt américain et de la morale.

Une façon de se doter d’un statut de chef de guerre et de réunifier le parti républicain aussi. Non seulement la Président de la Chambre des Représentants Paul Ryan applaudit, mais les deux chefs de file ds frondeurs, John McCain et Marco Rubio aussi. Pour tous : dans l’environnement international actuel, le retour de la puissance américaine passe par un exécutif fort. L’ « extrême-droite » républicaine y serait opposée, invente la gauche médiatique française. Seuls les libertariens rechignent, tel le sénateur Rand Paul, mais appeler « extrême-droite » ceux qui refusent Etat, bureaucratie, guerre, impôts, est seulement la preuve que l’on peut avoir la plume vive et l’esprit paresseux.

si la plupart des démocrates applaudissent, certains protestent pour la forme, au nom d’un Congrès qui devrait décider des engagements militaires. Avant la guerre du Vietnam, la Constitution exigeait son approbation pour les seules Déclarations de guerre, cas contre le Japon. Depuis, l’autorisation est nécessaire en cas d’ « hostilités » supérieures à 60 jours. Mais, en 1999, le Président démocrate Bill Clinton décide 79 jours de frappes aériennes contre la Serbie, il engage des troupes au sol en Somalie (1992) et Haïti (1994) sans avis du Congrès. En 1911, Barack Obama agit de même en Lybie.

Démocrates ou républicains le savent :face aux menaces terroristes et aux Etats voyous, l’intérêt général commande un exécutif fort. « Russia first » ou « China first », de Vladimir Poutine à Xi Jinping, comme d’Angela Merkel à Theresa May, toutes les grandes puissances suivent lucidement ce chemin patriotique ouvert, qui n’est ni isolationniste, ni interventionniste. Seule la France paraît endormie, incapable de retrouver le chemin de la puissance et de la défense de son mode de vie, au cœur d’une Union européenne bien meurtrie.

 

 

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