Réflexion sur les origines du terrorisme en France

kaboul, nov 2001, arrivée de Roucaute avec l'Alliance du NordEntretien dans Atlantico.

 

Yves Roucaute débarquant à l’aéroport de Kaboul dans l’hélicoptère de feu le commandant Massoud en 2001

 

 

Atlantico:
En quoi ces actes terroristes sont-ils aussi le fruit de ressentiments propres à la société française ?
Si ce type d’attentats se revendique d’une lutte bien plus large – en l’occurrence le djihad – ne prolifèrent-elles pas en réalité sur des haines très françaises ?

Yves Roucaute :
Sans doute est-il temps d’accepter de décrypter l’un des maux de notre société française, les dynamiques de haine qui œuvrent en son sein. Et cela sous peine de ne pouvoir les traiter. Il me semble possible d’avancer quelques réflexions qui ne prétendent pas faire le tour d’une question très vaste. Disons d’abord que l’islamisme radical est une partie intégrante de cette dynamique des haines que nous constatons en France, mais il ne les invente pas. Il en use plutôt et il les cristallise auprès des plus fragiles, pour les faire converger contre la France républicaine.

Ce processus qui conduit au terrorisme islamiste en France dépasse évidemment la France. Il s’agit bien d’un mouvement international poreux et éclaté, qui vise tout aussi bien des Etats de démocratie libérale que les grandes spiritualités, dont l’islam, qu’il soit chiite ou sunnite. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette dynamique de haine qui tue à Grenoble, s’exprime par le meurtre d’une quarantaine d’Européens, le même jour, à Sousse, pour terroriser la jeune démocratie tunisienne et celui d’une quinzaine de musulmans au Koweit, allié des démocraties. Le projet de califat mondial explique le caractère mortifère et totalitaire de cette idéologie qui touche aussi la France. À l’évidence, le réel ne pouvant supporter un tel projet, les terroristes tentent d’abolir le réel. C’est d’ailleurs pourquoi, ils sont condamnés par l’histoire.

Mais cela n’explique pas tout. Comment peuvent-ils croire deux secondes à l’idée de soumettre 7,1 milliards d’habitants sur terre pour recréer le califat ? Allez donc expliquer à 1 milliard de Chinois athées, confucéens ou bouddhistes qu’ils vont devoir obéir à un calife quand déjà il est impossible d’unifier ceux qui se battent pour Daesh et pour Al-Qaida. Et comment peuvent-ils croire être en adéquation avec le Coran pour tuer des êtres humains en plein Ramadan ?

Pour saisir de quoi il retourne et le problème que nous affrontons en France, sans doute est-il nécessaire de rappeler que la haine n’est pas la colère. Il y a de la peine à la base de la colère, il y a de la jouissance à la base de la haine. C’est d’ailleurs peut-être pourquoi on voit aujourd’hui Daesh offrir des images de têtes coupées tout autant que des esclaves sexuelles aux gagnants d’un concours de mémorisation du Coran. Le fond est le même dans les deux cas. C’est une question absolument fondamentale,« cela jouit » dans la haine. Donc arrêter la haine en France, ou ailleurs, n’est pas si simple qu’on le croit. Et les moyens de l’arrêter demandent une volonté et une méthode bien particulière pour recréer l’interdit, celui que la haine a supprimé. Car toute haine est dans l’abjection et elle tente d’entrainer ses opposants dans l’abjection. Les terroristes torturent, violent, coupent les têtes et le font savoir. Ils tentent ainsi d’entrainer leurs ennemis dans leur haine. Ce qui, en retour justifierait leur haine et augmenterait leur jouissance. Par exemple, la tactique des islamistes en France est d’entrainer la communauté nationale dans la haine des musulmans, ce qui, en retour, conduirait à recruter de nouveaux criminels et à justifier leur crimes. C’est pourquoi, la lutte contre les dynamiques de haine doivent être menées par des chefs raisonnables, sans haine, avec détermination, en gardant à l’esprit les valeurs universelles de respect de la dignité humaine, même dans la guerre. C’est aussi pourquoi votre question des haines qui agitent le pays est aussi importante. Car la haine islamiste n’est pas une haine primitive. Elle est, en France, l’expression d’un rhizome qui court sous le sol. Et extirper cette haine islamiste c’est extirper ce rhizome aux dix ramifications.

Atlantico:
Quelle typologie peut-on dresser de ces haines françaises ? Quels en sont les principaux foyers ? Dans quels groupes de population se sont-elles développées, sur quels facteurs (raisons religieuses, économiques, mondialisation) ? Qui sont leurs cibles ?

Yves Roucaute :
La France mérite, à cet égard, une réflexion à part. Notre pays a trop longtemps préféré à l’analyse de la situation concrète la négation pure et simple des dynamiques haineuse. Ce faisant, refusant de travailler sur les failles morales et sociales de la France pour assurer sa cohésion et sa puissance, les dirigeants politiques ont permis le développement de l’islamisme.

Ce point est particulièrement évident concernant la question de l’immigration et des difficultés d’assimilation. Ces dernières conduisaient à des manifestations de haine perceptibles par tous dans la quotidienneté. Pourtant, longtemps, la plupart des dirigeants politiques affirmèrent qu’il n’y avait pas de haine, mais seulement de la colère, c’est-à-dire un mélange de réactions irrationnelles et de peines dans une situation douloureuse, face à l’injustice subie par la seconde génération de l’immigration, face au chômage, aux difficultés d’insertion, de voisinage, d’habitat, de scolarité etc. Ainsi, la haine perceptible dans les stades où étaient brûlés des drapeaux français et sifflée la Marseillaise, les actes d’incivilité dans les métros, dans certaines cités, dans les rues, devenaient des faits divers accidentels produits par de gens en colère. Ces faits n’avaient finalement qu’une seule épaisseur : celle de l’exclusion. Ces actes venaient des « exploités », des « dominés », des «malheureux », des « laissés pour compte », des « exclus ». Certes, disaient ces démagogues, la colère ce n’est pas bien mais puisqu’ils sont exclus, la vraie responsabilité est d’abord du côté de ceux qui excluent. Et la solution était donc de faire un effort du côté de la France pour intégrer ceux qui souffrent de vivre sur le territoire national.

Bien entendu, l’islamisme radical lut une faiblesse là où ces dirigeants croyaient prouver leur générosité. Et il vit une bonne occasion de recruter dans les lieux de déshérence identitaire des cités auprès de la seconde et de la troisième génération, dans les populations marginales quand bien même elles n’étaient pas d’origine musulmane, des chômeurs aux vendeurs de drogue, jusqu’aux prisons, pour offrir leur soutien à ceux qui, quand bien même ils étaient coupables, devenaient les victimes de la société française. D’autant que le parti communiste disparaissant des cités en sombrant dans la maladie infantile du gauchisme, l’islamisme a pu relayer ce discours de culpabilisation qui a fissuré pendant 30 ans le ciment culturel français auprès des plus fragiles. Puisque la société française elle-même admettait sa culpabilité, il était facile pour les courants islamistes d’appeler à la combattre.

Je passe, faute de temps, sur la haine antibourgeoise ou antilibérale qui est tout autant canalisée par l’islamisme et qui s’ah-jouta à la précédente. Ces discours de haine ont ruiné l’idée que la France pouvait vivre par l’effort et le travail autour de valeurs communes et que les inégalités en son sein n’étaient pas nécessairement des injustices. Ils ont dénoncé le rôle de l’Etat qui n’assurerait pas la « justice » distributive, celle de l’égalité sociale, et qui serait au service des possédants. Mais alors que l’esprit de lutte des classes a perdu toute crédibilité du côté d’une alternative révolutionnaire socialiste, depuis la chute du mur de Berlin et le virage du parti communiste chinois, les esprits les plus fragiles virent naître une autre alternative pour détruire ce monde « injuste », celle de l’islamisme. Car il ne faut pas s’y tromper, l’islamisme est un discours haineux de révolution sociale.

Mais ces haines n’auraient pu prendre sur les esprits, si la détestation de la morale universelle n’avait été nourrie par le laxisme d’une partie de la gauche et de la droite. Cela est sans doute l’élément le plus subtil de la séduction de l’islamisme.

En prétendant que tout se vaut, ou que toutes les valeurs sont déterminées par leurs conditions historiques et sociales, voire qu’elles cachent les rapports de domination, les démagogues ont cru pouvoir séduire les foules et même régler au mieux le problème de l’intégration. Chacun devait pouvoir s’intégrer avec son droit à la différence, puisque la différence importait peu.

Mais, c’est oublier que si tout se vaut, rien ne vaut et que si certains désirs ne valent pas mieux que d’autres, tous peuvent donc être réalisés. C’est oublier aussi que l’esprit humain aime avoir des certitudes tout comme un bateau doit aller vers un port.

Atlantico:
Parmi ces haines, quelles sont celles qui s’expriment ouvertement et celle qui au contraire sont plus souterraines ?

Yves Roucaute :
L’islamisme et son propre droit à la différence ne trouvent ainsi devant eux aucun barrage culturel qui poserait des interdits majeurs à leurs vision du monde. Et ils sont prêts à remplir de leur venin le vide éthique des consciences organisé par les idéologues. Ainsi, quand l’islamisme affirme que l’humain ne tant que tel, sa dignité, n’est pas une valeur absolue, l’extrême gauche et le Front national lui ont déjà préparé le chemin. Non seulement il n’est pas interdit de prétendre que tous les humains n’ont pas une égale dignité mais c’est l’affirmer qui serait une rouerie d’après eux. Je me souviens encore des cris d’orfraie de certains députés quand Claude Guéant prononça le discours sur les civilisations que j’avais écrit. Je ne pensais pas qu’il se trouverait un seul député de la République pour protester devant cette idée que toutes les civilisations ne se valent pas, que celles qui sont fondées sur le respect des droits de l’homme valent mieux que celles qui les refusent. Et c’est pourtant ce qui s’est passé.

L’islamisme a profité de cette haine de la gauche révolutionnaire et néofasciste contre les valeurs universelles, associée à la démagogie et à l’ignorance, pour travailler les consciences durant des années. Que les femmes puissent être tenues dans la minorité, que les infidèles doivent se soumettre ou être châtiés, voilà qui peut être accepté par des consciences qui ont déjà appris que tout est relatif, qu’il n’y a pas d’interdit absolu et majeur.

En l’absence de garde morale face à l’abjection, l’islamisme avait table ouverte. Il pouvait avancer du côté de l’abject auprès des consciences perdues, incapables de discerner le bien, du mal, cette violation de la dignité humaine, et, bientôt, appelant bien le mal et mal le bien. La nature humaine a horreur du vide moral, et l’islamisme a offert, en guise de viatique, une morale de l’horreur. Puisque le désir humain ne savait plus l’universalité de la valeur humaine, il appris à jouir dans l’horreur.

Mais l’islamisme n’aurait sans doute pas eu ce succès, s’il n’avait pu lier les haines « locales » aux haines internationales. En particulier à l’anti-américanisme alimenté par l’extrême-gauche, depuis 1946, et le pétainisme, recyclé F.N., depuis 1944. Impérialisme, interventions même humanitaires, Corée, Vietnam, Palestiniens, libéralisme, capitalisme, Pershing II, Afghanistan, Guantanamo, Irak, Syrie, mondialisation, tout y passe ou à peu près depuis un demi siècle, pour nourrir cette haine qui n’atteint pas, curieusement, les autres grandes puissances. Une haine liée à l’antisémitisme, dissimulé derrière la détestation d’Israël. Installés depuis 1880 au Proche-Orient et depuis 1922 plus massivement, les Palestiniens sont devenus les faire-valoir de politiques d’extrême-gauche qu’ils ne supportent en aucune façon, et de certains islamistes qui nient leur pluralité politique, religieuse et sociale, et qui cherchent moins à trouver une solution pour asseoir la paix qu’à les utiliser pour développer la haine.

Encore, dernièrement, certains prétendirent découvrir un secret de polichinelle : l’espionnage par les Etats-Unis de leurs alliés. Depuis la révélation de juin 2013 parue dans le Washington Post, cela se sait pourtant. Qu’importe. Et les pays développés, Chine, Russie, Japon, Royaume Uni, n’espionnent-ils pas ? Qu’importe. Et la France ne dispose-t-elle pas d’un système Emeraude, de « frenchelon », de satellites, d’experts ? Qu’importe. Pour néofacistes et extrême-gauche, alimenter la haine américaine dans l’opinion publique est un devoir. Certes, la mondialisation est une réalité où les alliés sont aussi des concurrents, certes, la France doit se doter de moyens pour préserver ses entreprises et développer l’intelligence économique, certes, l’ouverture des marchés n’autorise aucune naïveté, mais comment oublier que l’ennemi principal n’est pas les Etats-Unis mais le terrorisme islamiste ? Un ennemi principal qui demande de se doter de moyens propres et en commun en Europe.

Oublier l’ennemi principal ? L’islamisme surfe sur cette haine offerte sur un plateau. Il reprend l’antienne : les Etats-Unis impérialistes écrasent les gentils peuples, Barack Hussein Obama massacre les bons musulmans, ses alliés du monde musulman sont des traîtres, Israël et les juifs sont derrière tout cela. Et puisque le pire ennemi des ennemis est Daesh, alors soutenir Deash est un devoir. Et terroriser à leur manière, un moyen saint.

Atlantico:
Le constat global n’a rien de neuf – il y a 20 ans, le film « La Haine » l’expliquait déjà même si le panorama n’était que partiel. La situation ne s’est en rien améliorée. Pourquoi un tel aveuglement collectif sur le sujet ? Qu’est-ce qui dans le contexte français tend à l’exacerber ?

Yves Roucaute :
La question systématiquement évacuée par les démagogues est bien celle-ci : quelles que soient les raisons qui, dans le passé, pourraient permettre de comprendre leur itinéraire, n’y-a-t-il pas des êtres dont l’objectif est la destruction de notre Cité ? Et quand de tels individus passent à l’acte en jouissant dans l’horreur, jusqu’à prostituer des infidèles, jusqu’à couper au couteau des têtes, jusqu’à plonger les mains dans le corps des morts, l’urgence n’est-elle pas de mettre en œuvre les moyens pour les neutraliser ? Et quand le fléau paraît se développer, quand les rhizomes donnent autant de fleurs empoisonnées, le temps n’es-il pas venu pour le jardinier d’aller arracher les haines qui le nourrissent et de rappeler avec force, donc violence, les interdits majeurs?

C’est précisément ce temps. Il appelle un jardinier qui remette les pendules à l’heure de la France, généreuse, ouverte, mais ferme sur ses valeurs universelles, son mode de vie sucré et la recherche de sa puissance. Un travail qui commence dans la quotidienneté, par la traque des incivilités et la remise à plat des devoirs, avec de nouveaux épouvantails à islamistes dans les écoles, du salut au drapeau jusqu’au port de la blouse. Un travail qui appelle l’alliance de tous ceux qui aiment la France, musulmans compris, car ils ne sont pas seulement nos frères en humanité mais aussi nos frères d’arme face à l’horreur qui les meurtrit dans leur chair et dont ils savent mieux que d’autre extirper les racines, ainsi que le montrent les gouvernements du Maroc et d’Egypte. Le temps est venu de voir surgir un jardinier qui n’aurait à opposer à cette haine une passion, comme le disait le général de Gaulle , le 18 juin 1942, à l’Albert Hall de Londres, une seule passion, celle de la France.

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