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Présidentielle américaine 2024 : l’étrange cécité française

Publié le 3 novembre 2004. cliquer ici

Voici quelques réflexions (trop rapides) sur les élections présidentielles américaines…

Je commencerai en avouant que l’étrange cécité de plusieurs médias français ne cesse de m’amuser. Puisque les journalistes français ne votent pas aux Etats-Unis et puisqu’à ma connaissance ils n’y ont aucune influence, on aurait pu imaginer les voir tous chercher une analyse lucide de la situation américaine qui aurait permis d’informer notre pays sur les enjeux de la campagne US, y compris pour la France. Dans ce meilleur des mondes possibles le citoyen français aurait ainsi découvert les principales préoccupations rencontrées par le citoyen US auxquelles les 2 candidats apportent des réponses différentes et deux stratégie opposées : le pouvoir d’achat, l’inflation, l’emploi, souvent fondues dans la catégorie « économie » par les instituts de sondage, suivies par la sécurité et l’immigration, puis le wokisme, puis, inégalement selon les États, par l’avortement et, à présent, Israël. Tandis que les autres éléments n’ont qu’une importance secondaire comme la question de l’Ukraine par exemple, si importante à nos yeux d’Européens, ou celle du climat qui a perdu aux États-Unis de son importance, et nous verrons pourquoi. 

Hélas ! sur certains plateaux, la paresse veille, c’est-à-dire l’« expertise psychologique » et la reprise du canevas de campagne de Kamela Harris qui a l’avantage de ne demander aucune étude concrète… sinon celle de l’éditorial psychologisant du New York Times. Et ainsi fut consacrée l’incapacité d’expliquer pourquoi Kamela Harris est en difficulté, dépassée à présent nationalement et distancée dans la plupart des États-clefs, d’après l’ensemble des sondages, bien que rien ne soit définitivement joué depuis le retour de Barack Obama au premier plan de la scène politique. Et nul citoyen français ne peut donc saisir pourquoi cette baisse survient dans tel État plutôt que dans tel autre, par exemple plus dans l’Arizona ou la Géorgie que dans l’État de New York ou la Californie ou pourquoi l’intervention de Barack Obama pourrait être décisive dans le Michigan qui est sans doute, avec la Pennsylvanie, l’État où se jouera l’élection, et dans la mobilisation de l’électorat « black » dans une élection qui est plus encore « racée » que « genrée ».

Voilà donc une tentative d’analyse, sans parti pris, glacée, car je tiens pour assurer que la recherche de la vérité exige d’écarter toute prise de parti, par ailleurs ridicule quand on n’est pas citoyen américain. 

D’abord, un constat, celui de la double erreur stratégique de Kamela Harris que Barack Obama tente de corriger depuis une semaine. 

Face à Trump, elle a fait du “tout sauf Trump” son viatique ce qui avait l’avantage d’éviter de faire exploser les tensions entre les deux grands courants du parti démocrate. Et, quand elle a finalement dû répondre aux préoccupations des Américains sur le fond, elle a été contrainte de faire du “en même temps”, afin de maintenir la cohésion de son parti et de son électorat. Deux stratégies d’évitement dangereuses pour ce parti.

Ainsi, au lieu de s’attaquer au programme de Trump et de profiter des divisions réelles au sein du parti Républicain pris entre deux grands courants, l’essentiel de la campagne de Kamela Harris a consisté, depuis sa nomination jusqu’au retour de Barack Obama sur scène, à éviter les sujets qui fâchent dans l’électorat démocrate et à diaboliser son adversaire pour rassembler derrière elle ceux qui s’opposeraient à lui. 

Pour cette stratégie d’évitement, à l’inverse de Joe Biden qui avait tenté de défendre son bilan gouvernemental avant son désistement, Kamela Harris a dû prendre ses distances avec la présidence Biden. Et pour légitimer son « tout sauf Trump », elle a attaqué la personnalité du candidat républicain : ce serait un “fasciste”, un homme violent, vulgaire et misogyne, aux tendances racistes qui voudrait violer la constitution, qui aurait tenté un coup d’État, qui préparerait l’interdiction des médias et le contrôle des élections, j’en passe de ses accusations, jusqu’à justifier de le mettre en … prison. 

Notons, au passage, que nos experts français en psychologie américaine ont emboite ce pas sur les plateaux avec une naïveté confondante, jusqu’à vendre que Kamala Harris serait une douce agnelle et Donald Trump, un personnage odieux et crétin qui menace la démocratie.

À vrai dire, l’erreur de Kamela Harris ne fut pas ses violentes attaques ad hominem, car c’est là une constante de toute campagne américaine depuis qu’il y en a, et, à ce jeu, n’en déplaise à certains “experts » des plateaux médiatiques, force est de constater que démocrates et républicains sont égaux. Et on est d’ailleurs loin de la violence des campagnes lors de la première élection de Ronald Reagan ou de celles de George W. Bush… J’ajoute que dans un pays où la publicité comparative est permise et peut-être très agressive, attaquer personnellement ne choque que les Tartuffe qui sont légion dans chaque camp et qui prétendent toujours, autre grand classique, qu’eux veulent l’unité du pays en insultant l’autre camp…

L’erreur d Harris fut ailleurs : de privilégier cet angle au lieu d’en faire un accessoire de campagne. Car où sont ses réponses aux problèmes du pays et aux propositions de Donald Trump ? Quasi inexistantes et, lorsqu’elles existent elles sont confuses, car contraintes au “en même temps” en raison de la crainte de voir éclater son parti et de perdre son électorat. Une confusion qui ne pouvait durer dans le temps car sur une scène politique nul ne joue jamais seul, et Donald Trump s’est empressé de rentrer dans les failles de cette stratégie d’évitement.

Avant d’en venir à ces confusions, on s’étonnera peut-être que je dise qu’elle aurait dû « répondre » à Donald Trump. Cela est dû à une règle sociologique que voulut ignorer Kamela Harris (et les Gabriel Attal, Michel Barnier, Édouard Philippe… comme tous les prétendants à la présidence française devraient y réfléchir…) :  le sortant est toujours comptable de ce qu’il a fait tandis que l’opposant peut attaquer son bilan et vendre du “y’a qu’à” plus aisément. En quelque sorte, sur un échiquier, le postulant a les blancs et le sortant les noirs. Le premier tente d’enclencher un mouvement de soutien à ses propositions en rassemblant les mécontents à la politique gouvernementale, ce qui, si la stratégie est bien menée, le fait souvent passer en tête par un effet dit « bandwagon »: une façon d’accrocher derrière lui des wagons électoraux réunis par leur opposition à ce qui est… L’autre essaye de l’enrayer. 

L’erreur magistrale de Kamela Harris fut de jouer l’esquive, ce fameux « en même temps » sur toutes les questions en commençant par celle du bilan. Elle tenta le coup de dire qu’elle était « en même temps » l’héritière de Joe Biden, ce qu’elle privilégia lors de sa nomination pour obtenir le soutien de l’administration du parti, mais, dès qu’elle fut désignée, elle changea de train pour dire qu’elle n’était pas vraiment comptable de son bilan, que l’important était de battre Donald Trump et qu’elle pourrait mener une autre politique…sans toutefois dire précisément laquelle. Bref, elle était en même temps dans le train de Joe Biden et du courant qui le soutient dans le parti, mais elle était aussi dans un autre train. 

Ce premier « en même temps » est une grave erreur. Certes, cet héritage lui paraissait lourd en termes électoraux. Car tous les instituts de sondage indiquent que le bilan social, économique, migratoire, sécuritaire et international de Biden est jugé très sévèrement dans le pays. Si l’on en croit la moyenne des 20 plus importants instituts de sondages : 65% des Américains désapprouvent sa conduite du pays, 60% sa politique économique, 60% sa politique envers les emplois, 62,5% sa politique face à l’inflation, 62,6% face à l’immigration, 57% face à la criminalité, 65% face au conflit entre Israël, le Hamas et le Hezbollah… Il paraissait plus simple de jouer du « en même temps » pour rassurer cette partie de sa base électorale qui restait favorable à l’action de la présidence Biden tout en essayant d’aller ramasser les wagons d’électeurs mécontents en disant que le changement était aussi à l’horizon, sans dire lequel, et qu’en attendant il faut parer au plus presser : écarter la menace Donald Trump. 

Mais éviter ce bilan n’était guère tenable bien longtemps. Cet héritage est aussi le sien proclama Donald Trump qui a évidemment vu la faille.  Comment longtemps esquiver le bilan alors qu’elle a été et restait la vice-Présidente de Joe Biden ? Et plus le temps passait, moins elle parvenait à imposer sa stratégie d’évitement (« tout sauf Trump ») face aux problèmes réels du pays et à la violente campagne de Trump qui la mit au pied du mur la sommant de réagir à ses propositions « America first » qui prenaient à contrepied le bilan Biden. 

Et c’est alors qu’au début du mois d’octobre, acculée à devoir répondre concrètement, la stratégie d’évitement a produit ses effets négatifs en faisant croître la tension entre les deux grands courant de son parti et la déstabilisation de son électorat.

Peut-être, avant d’aller plus loin pour saisir les effets de déstabilisation, est-il temps ici (sans reprendre en détails mes conférences à ce propos), d’évoquer ces tensions du parti démocrate qu’ignorent les « experts en psychologie trumpiste ». 

La vie de ce parti est tendanciellement animée, depuis la guerre de sécession, par deux grands courants. Le premier suit, peu ou prou, une ligne hamiltonienne, du nom d’Alexander Hamilton, secrétaire d’État au Trésor de 1789 à 1795 et dirigeant du parti fédéraliste. C’est, disons pour aller vite, un courant pro-business plutôt ouvert sur le monde et, en politique domestique, très étatiste, notamment favorable aux politiques de redistribution de richesses par les impôts via l’administration de l’État et aux politiques de santé et d’éducation régulées depuis Washington. Il est particulièrement puissant sur la côte Est et incarné dernièrement par Clinton, Barack Obama et….Joe Biden. 

Le second s’inspire plutôt d’une ligne wilsonienne, du nom du Président Woodrow Wilson. Disons pour aller vite qu’il est aujourd’hui un courant moralisateur, pacifiste, pro-immigration, wokiste… notamment incarné par Bernie Sanders, sénateur du Vermont, Gavin Newson gouverneur de Californie, le mouvement LGBT… Un courant particulièrement puissant en Californie, dans l’État de Washington, en Oregon et dans les universités américaines. 

Or, c’est de ce courant qu’est issue Kamela Harris. Ex-procureure de San Francisco, elle avait été élue sénatrice de Californie en défendant le California Values Act qui transforme cet État en « sanctuaire » pour les migrants clandestins, interdisant leur expulsion, en favorisant les mesures LGBTQ+ jusque dans les écoles, en exigeant le salaire minimal, les taxes et les mesures répressives au nom de la planète… Ce que certains de nos fameux « experts » prompts aux simplifications paresseuses appellent parfois la « gauche » du parti, ignorant le poids religieux majeur dans ce courant « moraliste ».

Ne pas associer ces deux courants dans le parti démocrate, toute l’histoire américaine depuis la guerre de Sécession montre que c’est aller vers une défaite certaine. Ainsi, c’est bien par l’association de ces deux courants, sous l’égide de Joe Biden, élu hamiltonien typique du Delaware, ancien avocat des plus grandes entreprises comme Microsoft, que fut conclu le deal gagnant de 2020. 

Mais au lieu de reproduire cette alliance pour aller à l’affrontement avec un parti républicain emporté par le jacksonien Donald Trump et de profiter du fait que ce parti soit lui aussi traversé par d’énormes tensions et deux grands courants antagonistes, Kamela Harris a imposé contre l’administration très hamiltonienne du parti, que Tim Waltz soit son colistier. Cela alors qu’il est tout aussi wilsonien qu’elle et qu’il dirigea, dans le parti, le Parti démocrate-paysan-travailleur du Minnesota (Democratic-Farmer-Labor Party), ouvert à l’immigration, anti-armes, pro-LGBT, écologiste punitif pourfendeur de CO2…

Et, voilà pourquoi en octobre, quand il lui a fallu répondre aux attaques de Donald Trump, pour écarter les risques d’éclatement de son propre camp et arrêter la baisse sensible qui commençait dans l’électorat, elle a poussé au paroxysme sa stratégie d’évitement, ce fameux « en même temps ». 

Cela peut-il fonctionner ? Sans doute si l’échiquier n’avait qu’un seul joueur. Mais, loin d’être le crétin que nos « experts en psychologie trumpiste » imaginent », l’équipe du milliardaire Donal Trump a vu les failles du marché électoral démocrate et elle est entrée dedans exigeant des réponses. Et la stratégie d’esquive a montré son insigne faiblesse.

Quelques exemples. 

Dans le débat économique, premier souci de la population, sommée de dire ce qu’elle pense des industries, agricoles,  extractives et transformatrices, dans ce pays où le chômage a passé la barre des 4%, Kamela Harris a tenté de s’en sortir en usant du « en même temps ». Car, tout comme son courant, elle avait été favorable à une politique de contrôle des entreprises, de taxes et d’interdictions au nom de la planète et du bien social. Dans la course à l’investiture, il y a 4 ans, elle avait encore dénoncé l’extraction de l’huile et du gaz de schiste qui devait être arrêtée pour « sauver la planète » qui n’aurait jamais été aussi chaude à cause de l’humanité et en contrepartie, elle prétendait que les énergies alternatives seraient une solution. 

Mais, comment faire pour gagner l’élection quand les sondages montrent qu’au sein même du parti démocrate les résistances à cette écologie punitive sont de plus en plus fortes et que Kamela Harris est donnée perdante dans certains États industriels comme la Pennsylvanie, producteur historique de charbon, revitalisée par l’industrie du schiste et ses 75 000 forages après la crise du début des années 2000 ? Voilà donc Kamela Harris qui se rend en Pennsylvanie pour déclarer son soutien sans failles à l’extraction de l’huile et du gaz de schiste. Et, elle le dit aussi dans le Michigan, le charbon et les véhicules thermiques ne seraient plus un mal pour la planète mais un bien pour les États-Unis… Et finalement vive la croissance !

Néanmoins, pour conserver l’unité du parti et rassurer sa « gauche » wilsonienne déçue par ce retournement, “en même temps”, elle annonce l’augmentation du financement des énergies dites « alternatives » et un plan d’investissements dans la continuité de celui de Joe Biden. Et rappelle qu’elle veut l’intervention de l’État avec le contrôle des productions de gaz à effet de serre, confondus avec le CO2, et celui des prix des grandes entreprises de l’alimentation qui « exploitent » les consommateurs « pour augmenter leurs profits ». Ce qui, tout mis bout à bout, signifie un appel à l’intervention de l’administration de Washington dans la vie quotidienne, ce qui est détesté dans le sud, en particulier en Floride, en Géorgie ou dans les deux Caroline où Trump ne cesse d’augmenter son avance. 

Car, elle mécontente ses anciens partisans, sans convaincre les électeurs des États industriels. Ainsi, s’agissant de la dite « transition énergétique », les Américains constatent que ces planifications appellent des impôts. Or, ceux-ci sont de plus en plus décriés aux USA où le pouvoir d’achat est le premier souci. Face à leur coût en milliards, beaucoup d’Américains y voient de l’argent gaspillé, pris, via les impôts, dans leurs poches trop vides, une menace contre leurs emplois dans l’automobile, l’aéronautique, la chimie… et un affaiblissement de la puissance américaine face aux concurrents asiatiques. Ce mécontentement est accentué par le recul idéologique de cette croyance en la culpabilité humaine dans les variations climatiques, au point pour Sunpower et d’autres leaders industriels de la fameuse « transition écologique » d’avoir déposé leur bilan tandis que même le conseiller climat de Barack Obama, le physicien Steven Koonin, a publié un livre où il nie l’influence de l’homme sur le climat et critique les « manipulations » du GIEC et d’autres instituts. 

D’ailleurs, comment s’étonner si l’Ohio, naguère donné comme exemple des « swing states » est passé nettement républicain, avec 7% d’avance pour Donald Trump ? Ses principales activités ? L’automobile, les pièces détachées de l’automobile, le plastique, les industries chimiques… Du « en même temps », ils n’en veulent pas. Ils n’en veulent pas non plus dans l’Indiana, où Donald Trump à 16% d’avance, tandis que la Pennsylvanie est à présent données à Trump (selon la moyenne des instituts de sondage) avec + 0,8%. 

Et ce ne sont pas les “ploucs” et le monde rural qui votent Trump, comme on le dit dans les dîners en ville new yorkais et sur certains plateaux français, mais aussi les ouvriers et cadres de l’industrie. Ainsi, si la Géorgie, État hier encore en « balance », donne une avance confortable à Donald Trump, de 2,4% et le monde rural, moins de 8% de la population, n’y est pas pour grand-chose, mais les travailleurs des mines (cuivre, manganèse…), de l’acier, des machines-outils, de la chimie et des services, peu rassurés par le « en même temps » de Kamela Harris. Et en Pennsylvanie, où le score paraît désormais si serré, il n’est pas anodin que 53% des votants disent qu’ils préfèrent la politique économique voulue par Trump contre 43% pour Harris.

De même sommée de se déclarer sur l’immigration, Kamela Harris n’est guère plus rassurante. Alors que 2,4 millions d’entrées illégales ont eu lieu à la frontière avec le Mexique, ce qui pèse sur les salaires, les systèmes de soins et l’intégration aux valeurs américaines avec les conséquences sociales, elle est longtemps restée silencieuse évitant d’évoquer son programme et répondant par des pirouettes sur des questions de société, comme l’avortement. Pour répondre à l’inquiétude américaines, son programme annonce une « réforme complète » du système d’immigration, sans dire ce que serait cette réforme, mis, « en même temps », elle continue discrètement à soutenir la politique d’ouverture des frontières et à dire que le problème principal est d’intégrer les clandestins. Ce qui ravit certes ses électeurs du Nouveau Mexique et les démocrates wokistes de Californie mais ce qui ne convainc pas en Arizona, où 57% des électeurs sont très inquiets par l’immigration massive à leurs portes et où Donald Trump, qui était derrière Kamela Harris mi-août, le devance de 2,3% selon la moyenne des instituts de sondage.  Il n’est pas anodin qu’en Pennsylvanie, où tout pourrait se jouer, les électeurs, sur cette question préfèrent Donald Trump à 54% contre 42% pour Kamela Harris.

De même, sommée de dire ce que Kamela Harris pense du wokisme, pour rassurer un pays où le rejet de cette idéologie est devenu massif, jusqu’à même perdre son influence en Californie, elle prend officiellement ses distances, annonçant qu’elle ne lui était plus favorable. Mais, « en même temps », elle défend toutes les positions du mouvement LGBT ce qui s’oppose aux démocrates conservateurs.

 Car il faut être un « expert en lecture du New York Times » pour ignorer qu’une grande partie de l’électorat démocrate est conservateur, au sens français. Ainsi l’électorat catholique, qui vote majoritairement démocrate, est globalement opposé au wokisme et insatisfait de ce « en même temps ». Quant aux électorats de Virginie, très démocrate, et à celui du Wisconsin, qui avait voté Biden, ils sont même opposés à l’avortement sur lequel on reviendra.

Et quand Kamala Harris est sommée de dire ce qu’elle pense de la guerre d’Israël envers le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, pour satisfaire les hamiltoniens, elle dit qu’elle est favorable à la poursuite de l’aide à Israël, mais, pour satisfaire le courant wilsonien pacifiste de son parti, elle dit, « en même temps », à l’université du Wisconsin qu’elle est d’accord avec un étudiant qui dénonce le « génocide » israélien à Gaza et qui veut l’arrêt des fournitures d’armes, ce dont la félicite le sénateur Sanders. Ce qui est applaudi à San Francisco et dans certaines universités mais pas dans le reste du pays. 

Et Donald Trump ? De son côté, à l’inverse de ce que disent certains « experts » paresseux, il est parfaitement cohérent, suivant une stratégie jacksonienne classique et visible du « America First », celle qu’ont toujours suivie ses devanciers depuis les Président Washington et Andrew Jackson.

Pour aller vite, aujourd’hui, au nom du patriotisme, cette vision donne le même protectionnisme, une politique de réindustrialisation et de relocalisation des entreprises, le contrôle strict des frontières et de l’immigration, avec expulsions et mur, et une politique d’interdits d’exportations de certaines technologies sensibles, de taxations des importations, jusqu’à 60% envers certains produits chinois, qui seraient, selon lui, l’effet d’une concurrence déloyale. Et un repositionnement global, sur la base de l’America first envers les concurrents-alliés européens, sans états d’âme.

Au niveau domestique, comme ses devanciers, il est favorable au libre marché, avec une diminution des dépenses de l’État, donc des impôts, et des interventions de la bureaucratie détestée par ce courant. Entre l’abandon de la « transition écologique », qu’il voit comme une ineptie et une source d’affaiblissement de la puissance matérielle des USA, et son refus du wokisme, qu’il voit comme un affaiblissement moral des USA, soutenant sans réserves les industries nucléaires et extractives, les industries de transformation et les nouvelles technologies, moteurs de la croissance donc de la puissance selon lui, il réduit tout à une seule question : quel est l’intérêt des USA ? 

Insistons sur le principe qu’il défend et qui rassure (un peu) l’autre puissant courant dans le parti, celui de ses opposants jeffersoniens puissants au Sénat, très soucieux de l’autonomie des États. Lui aussi admet que ce qu’un État peut faire, Washington doit le laisser faire et ce qu’un comté peut faire l’État doit le laisser faire. Principe de subsidiarité qui vaut pour tout, de droit des États de décider de leur aménagement jusqu’à leur politique en matière d’avortement.

Sur cette dernière question, les plateaux français semblent en ignorer la teneur américaine en reprenant l’argumentation de Kamela Harris sans même aller y voir de plus près. Celle-ci l’a en effet mise au centre, et c’est une des seules préoccupations sur laquelle depuis le début de sa campagne elle a formulé une position claire, et c’est même pour cela qu’elle l’a mise au centre pensant ainsi marquer des points. Mais si cette préoccupation est réelle, elle n’est pas la première des Américains, entre 13 et 16%, loin derrière l’économie, la sécurité et l’immigration. Et il est vrai qu’en prétendant que si Donald Trump était élu il ferait interdire l’avortement, elle a obtenu le soutien de nombreuses femmes. 

Mais le vote est beaucoup moins « genré » que racial, la population noire vote entre 75% à 90% pour Kamela Harris. Sans ce vote noir, l’élection de Trump ne ferait aucun doute comme l’a parfaitement vu Barack Obama qui tente de mobiliser cet électorat pour inverser la tendance. D’autre part, si ce calcul de Kamela Harris est efficace car dans la plupart des États majoritairement les femmes votent majoritairement pour elle, ce n’est pas partout le cas. Par exemple, au Texas, en Floride ou, dans une moindre mesure, en Arizona, les femmes votent majoritairement Trump.

On peut aussi constater que dans les faits, la position de Donald Trump n’est pas celle que Kamela Harri lui attribue et qui a été doctement propagée par les médias proches des démocrates, c’est-à-dire dire la grande majorité et souvent reprise en France. La position répétée de Donald Trump est de dire qu’un Président n’a pas à intervenir sur ce sujet car c’est là le droit des États. Et il laisse son épouse mener une campagne pour le droit à l’avortement dans tout le pays. Joue-t-il en son for intérieur double ou triple jeu ? Je n’en sais rien. N’étant pas un expert en boule de cristal psychologique trumpienne, je m’en tiens aux faits…

Clairement, cette vision d’America First de donald Trump ne fait pas les affaires des pays européens qui sont jugés à l’aune du seul intérêt US sans autre considération politique ou morale. Mais les louvoiements de Kamela Harris ne sont guère plus rassurants. Ils présentent le danger notable de nourrir en Europe, et en France plus particulièrement, le doute sur la politique étrangère américaine et l’idéologie wokiste qui sape le socle des valeurs sur lequel la république française s’est construite. 

Comme spectateur, je trouve le spectacle américain passionnant. En tant que citoyen français, vivant dans un pays en décadence, et dans une Europe sans boussole, voilà des faits guère réjouissants dont chacun devrait prendre la mesure, sous peine d’en payer les frais…