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Nous sommes tous des Gaulois !

Nous sommes tous des Gaulois !

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Roman national Les fossoyeurs de l’histoire poursuivent leur sabotage de la mémoire. Symboles, mode de vie, valeurs : la France pluriethnique est pourtant fière d’être gauloise !

« Nos ancêtres les Gaulois habitaient des huttes en bois », chantait Henri Salvador, né dans cette France d’Amérique du Sud, en Guyane, à Cayenne. Et les Français des cinq continents, toutes origines confondues, reprenaient avec lui le texte de Boris Vian : « Faut rigoler, faut rigoler, avant qu’le ciel nous tomb’ sur la tête. »Ainsi s’amusait naguère une nation fière de son histoire, formée par ces instituteurs qui exigeaient, règle à la main, l’invocation des mânes gauloises, première pierre du grand récit glorieux qui menait de Vercingétorix à Charles de Gaulle, par les rois, les empereurs et les Républiques. Hélas, aujourd’hui, on ne rigole plus. L’armada du politiquement correct crie haro sur tous ceux qui, tel Nicolas Sarkozy, osent la référence à la Gaule chevelue.

Nos ancêtres les Gaulois ? “Pas les miens !”, proteste Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, qui souhaiterait donner un cours d’histoire à l’ancien président pour lui rappeler sa différence ethnique. “Pas les miens non plus !”, s’exclame le garde des Sceaux, qui prétend parler pour les Bretons. Au nom d’une France multiculturelle aux origines variées, c’est à qui ironisera le plus sur la vision étriquée, fantasmatique, pathétique de “Sarkozyx”. Un tollé qui emporte une partie de la droite, qui semble avoir oublié ce 3 novembre 1943, quand, à Alger, pour rassembler le pays asservi, Charles de Gaulle s’est écrié : « Vingt siècles d’histoire sont là pour attester qu’on a toujours raison d’avoir foi en la France. » Vingt siècles ? Diantre ! Depuis la Gaule de Vercingétorix ? Ridicule et hystérique aussi, le Général ? 

Enquêtons. Caricature socialiste mise à part, nul être sensé n’a jamais imaginé les Français ethniquement descendants des Gaulois roux et moustachus. Ni les Italiens associés par le sang à Romulus et Remus, les Grecs à Agamemnon, les Américains aux Pères pèlerins, les Chinois à l’Empereur jaune, Huángdi. Mais aucune nation ne survit sans construire le grand récit de ses origines, souvent mythique, auquel l’imaginaire de la population peut adhérer. L’échec des empires, de certains États artificiels, de l’Europe aujourd’hui même l’atteste. Curieusement, cette gauche qui pérore à tout instant sur la République et la citoyenneté semble ignorer que “Nos ancêtres les Gaulois” est le grand récit de la République française, avant que les années 1970 puis la présidence Mitterrand sombrent dans la repentance, le relativisme et le multiculturalisme. Un grand récit destiné à rechercher cohésion et puissance, qui avait l’avantage de coller, ce qui est rare, à l’histoire et à l’imaginaire du pays réel.

Avant la République s’était imposé un autre roman historique, celui de “Nos ancêtres les François”. Pas si éloigné au demeurant. Clovis en pose les germes après avoir constaté l’existence de populations d’origine différente sur son territoire. Comment asseoir une dynastie sur la seule aristocratie franque ? II interdit les mariages claniques et pour tous les habitants indistinctement, Francs, Wisigoths, Burgondes, Gallo-Romains, Armoricains et bien d’autres, il exige l’assimilation des valeurs communes portées par la religion chrétienne, les traditions politiques franques et le mode de vie gaulois. Et la reine Bathilde, épouse de Clovis II, pour renforcer l’assimilation, fera abolir l’esclavage. Bien plus tard, la monarchie carolingienne, pour donner à ses origines un lustre qu’elles n’avaient pas, finalise et formalise le grand récit national, celui de “Nos ancêtres les François”, héritiers des Francs venus de Troie et non de Germanie. Ils auraient fondé de nombreuses villes dont Paris, par le Troyen Pâris. Et tous les Français, sans exception, en seraient les descendants. En 1315, puisque tous les sujets sont “François”, Louis X abolit logiquement le servage : « Selon le droit de nature, chacun doit naître franc (libre). » L’État moderne, à partir de Philippe le Bel, par la force souvent, renforce cette unité nationale assimilationniste face aux corporations, aux corps intermédiaires, au pape et à l’empereur.

Mais ce grand récit, qui, par la cohésion imposée, fit de la France la première puissance d’Europe, se heurte, au XVIIIe siècle, à ces bourgeois qui viennent d’acheter des terres nobles. Honteux de leurs origines roturières, ils imitent à Versailles ces Castillans de prétendu sang bleu (el sangre azul), fiers de la couleur de leurs veines. Au nom des François, ils décrètent un mépris “ethnique” envers le peuple, les Gaulois. En réaction, l’historien Nicolas Fréret retrouve le ton de Ronsard glorifiant les Gaulois dans son Discours de l’équité des vieux Gaulois. En 1714, devant l’Académie royale des Inscriptions et Belles Lettres, il accuse les François d’être des Germains illégitimes, installés de force contre la masse des bons Gaulois. Ce qui lui vaut la Bastille.

La République met un terme à cette théorie des deux France. Elle troque les “François” contre les “Gaulois”. Avec “Nos ancêtres les Gaulois”, la France une et indivisible est de retour.

De Napoléon Bonaparte aux historiens populaires, tel Amédée Thierry (Histoire des Gaulois, 1828), de Napoléon III, qui fait ériger la célèbre statue de Vercingétorix par le sculpteur Millet en Côte-d’Or, à Gambetta, le grand récit s’impose. Apprendre “Nos ancêtres les Gaulois” devient obligatoire dans les écoles via le manuel d’Ernest Lavisse, sous le contrôle des instituteurs, hussards de la République. Après le Tour de la France par deux enfants, roman célèbre d’Augustine Fouillée, en 1877, Vercingétorix devient même le modèle du chef républicain, défenseur de la patrie, qui préfère la mort au déshonneur.

Mieux qu’avec “Nos ancêtres les François”, la République accrochait ainsi l’histoire mythique à l’histoire vraie et à l’imaginaire du pays réel. Car symboles, moeurs, valeurs : la France a bel et bien hérité des Gaulois. Ainsi, d’où vient le coq, celui des stades populaires, des maillots des équipes de France, des girouettes et des grilles de l’Élysée ? Les Anglais, des Plantagenêts, pour se moquer de Philippe Auguste, crurent bon, un jour, de le ridiculiser en le comparant au coq vaniteux. “Pas étonnant, dirent-ils, il est le chef des Gaulois, un roi de bassecour.” Coq et Gaulois n’ont-ils pas la même origine latine, gallus ? Voilà pour le mépris. Eux avaient choisi du lion pour emblème. Très fort, le lion. Les rieurs se trompaient. L’origine des deux mots est bien la même, mais elle est celte : gau ou co en celte, d’où gallus en latin, puis “coq” en français. Les Grecs et les Phéniciens appelaient les habitants “Gaulois” bien avant la fondation de Rome, par crainte de cette population qui, comme les coqs (gau), n’avait peur de rien. Appeler Philippe Auguste un coq pour se gausser de lui ? Le roi connaissait assez son histoire pour ne pas s’en fâcher. En coq qui ne lâche pas sa proie, il prend aux Plantagenêts la Normandie, la vallée de la Loire, gagne la bataille de Bouvines, brûle et massacre les villes qui soutiennent les Anglais et les troupes de son fils entrent à Londres, en 1216. Le petit coq courageux avait terrassé le lion, certes majestueux, mais un brin fainéant.

Par le coq, la France réelle rappelle que le courage est la valeur suprême du pays, la clé du patriotisme, comme le notait jadis Diogène Laërce pour le coq gaulois. Si les totems gaulois sont multiples, du cochon à l’aigle, le gallinacé se trouve bien sur les monnaies, médailles, statues et vases. Il protège les soldats dans les conflits au point d’être dessiné sur leurs casques et porté par les enseignes. Il veille sur l’esprit immortel des Gaulois morts pour la patrie dans les monuments funéraires, comme, plus tard, sur ceux de la Première Guerre mondiale. S’il disparaît avec Rome, il réapparaît dès l’écroulement de l’empire. Omniprésent au Moyen Âge, le Saint Empire romain germanique représente la France par cet animal. Il accompagne toutes les dynasties, figure sur les monnaies à partir des Valois, remplace le lys royal après la Révolution.

Il n’est pas jusqu’à l’organisation de l’espace quotidien qui ne porte la marque de nos ancêtres les Gaulois. Rome l’apprit à ses dépens, après la conquête. Son désir d’imposer les “provinces” dut céder devant le pagus, le “pays”, ce réel indépassable des Gaulois pour les Cicéron, Virgile et Tacite. Le pays, ses clochers, ses fromages, ce qui fait la beauté mondiale de ses paysages disent aussi la résistance, encore et toujours, à l’envahisseur bureaucratique européen, à l’uniformisation consumériste et à l’acculturation.

Celui qui aime le triptyque “Liberté, égalité, fraternité” ne saurait oublier qu’il est lui-même un héritage de ces Gaulois auquel le christianisme put facilement se greffer. Chez ces êtres libres, méfiants envers l’autorité — au point, pour les Arvernes, de mettre à mort le père de Vercingétorix, Celtillos, suspecté de vouloir instaurer la royauté —, le pouvoir s’acquiert par élection et non par naissance. Ils connaissent le droit inaliénable de propriété, d’échanger, de communiquer. Pas de propriété collective : le chef de famille est propriétaire individuellement et ses enfants héritent personnellement. Les villages sont composés de huttes coniques qui entourent des espaces publics de discussion, car la liberté d’expression est pour eux un droit de nature. Les femmes se promènent libres et elles discutent. La tribu consacre un système de vassalité ouverte, nul n’ayant le droit de lui imposer une réglementation. Fraternité ? Partout. Ces Gaulois aiment les banquets, ancêtres des banquets républicains. Légers et hâbleurs, ils partagent leur vin, lourd et alcoolisé, et leurs victuailles. Une solidarité forte lie les familles pour qu’elles ne se trouvent pas avec trop de terres en jachère et viennent à manquer de vivres.

La clé de leur puissance ? La vertu civique. La force de défendre leurs valeurs, incarnée par les druides, vêtus de blanc, outillés d’une serpe d’or, professant l’immortalité de l’âme, rappelant chacun à sa responsabilité et exigeant des sanctions, souvent cruelles, contre ceux qui violent les valeurs de la tribu. À l’image du petit village d’Astérix, qui contient plus de sagesse que toutes les logorrhées des fossoyeurs de notre histoire, ils protègent leur mode de vie et leur message de liberté, en coqs, becs et griffes. Hélas, notre nation, qui ne sait plus d’où elle vient, ne sait pas non plus où elle va et elle ignore aujourd’hui qu’« il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté dans le monde », comme le disait encore Charles de Gaulle.

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