Entretien

ITW. Yves Roucaute : “Que ce soit face à Trump, au wokisme, à l’IA ou à l’écologisme, nous avons besoin d’une révolution spirituelle”

ITW du 8 mars 2026. Présentation Atlantico

 Donald Trump, Ukraine, écologisme, wokisme, islamisme, antisémitisme, antichristianisme, intelligence artificielle, mal-être de la jeunesse… avec son livre « Aujourd’hui le bonheur », le philosophe Yves Roucaute apporte des réponses à toutes ces questions, et à bien d’autres. Présenté habilement comme les carnets de voyage d’un vagabond qui parcourt l’histoire de l’humanité en quête de miel et de bonheur, ce récit expose une vision du monde révolutionnaire.

Apparemment son vagabond va de gare en gare depuis l’état de nature, par l’Orient Express, l’Occident Express, le Mondial Express puis un petit tortillard jusqu’à son but, la Vallée de Miel. Mais, en vérité, en chemin il détruit en les disséquant, les idéologies obscurantistes, écologisme, wokisme, communisme, islamisme… il coupe au scalpel toutes les idolâtries, Planète, État, Marché, Pouvoir, Science… Et les 4 clefs du bonheur qu’il découvre sont quatre armes pour libérer la Cité de ceux qui vendent peurs et culpabilité, en profitant des 4 malheurs qui nous assaillent, ceux dus à la nature, aux autres humains, à soi-même et à l’illusion que l’humanité serait coupable par nature. À la fin, le philosophe prouve que toute l’histoire de l’humanité a été la lutte de la nature libre et créatrice humaine proclamée par la Bible contre la pensée magico-religieuses qui l’enferme. Et les quatre clefs sont un appel à la révolution spirituelle pour construire une Cité qui permet l’exercice de la formule du bonheur pour tous, « Créez ! ». Une philosophie de la révolution qui est aussi, c’est le paradoxe, une philosophie de la restauration, celle de la spiritualité. Avec plein de secrets, que nous tenterons de percer avec le dernier entretien.

Atlantico : Êtes-vous un partisan de Donald Trump qui associe libération de l’innovation et puissance cynique comme on le voit par son attitude envers l’Ukraine et sa politique douanière ?

Yves Roucaute : En écrivant ce livre, je ne me suis à aucun moment demandé si cela allait plaire à la droite, à la gauche ou au centre, au gouvernement américain, chinois ou zimbabwéen. Face au défi trumpiste et contre ceux qui sabotent les fondements spirituels de l’Europe au nom de la planète, du wokisme ou de l’intelligence artificielle, mon livre appelle à une révolution pour assurer innovation, puissance et recherche du bonheur individuel. L’urgence pour les Européens n’est pas climatique mais de lire mon livre (rires)car ce qui devrait d’abord les inquiéter, c’est de constater que l’Union européenne est incapable de répondre au protectionnisme offensif américain et à l’offensive plus subtile des Chinois. Au lieu de participer à la révolution des Temps contemporains que mon livre célèbre et dont il donne les clefs, elle sort de l’histoire. Car ce livre prouve que toute l’histoire de l’humanité a été la lutte de la nature libre et créatrice humaine, révélée par la Bible et prouvée par la raison, contre la pensée magico-religieuses qui l’enferme. Aujourd’hui, après 2,8 millions d’années de pensée magico-religieuse, cette période s’achève. Or, au lieu de suivre l’histoire et de libérer la créativité, l’Europe de Bruxelles est emportée dans la décadence et la haine de soi par des élites qui ont refusé la référence aux racines judéo-chrétiennes de l’Europe mais qui ont intégré dans leurs logiciels les idéologies, comme le wokisme ou l’anticapitalisme, et les idolâtries comme celle de la planète ou de l’État que je coupe au scalpel. Croyez-vous que ce soit un hasard si l’Union européenne est passée en troisième position en termes de PIB, très loin derrière les États -Unis, avec 18500 milliards de dollars environ contre près de 30 000 milliards ? Si l’Allemagne est en récession pour la deuxième année et si la France piétine, disparue des dix premières places en intelligence artificielle, robotique, nanotechnologies, biotechnologies… mais première en taxes, règlementations et dettes écologistes ?

Faudrait-il critiquer Elon Musk et Donald Trump qui cherchent la puissance et pour cela qui veulent libérer la créativité, source de l’innovation ? Au lieu de persévérer sur le chemin de la décadence, l’union européenne ne devrait-elle pas songer à s’attaquer à son tour aux bureaucraties et au maquis des normes et des taxes, à cesser de dilapider l’argent public via bonus écologistes et financement d’associations obscurantistes, à soutenir les industries extractives et transformatrices, à libérer la recherche de ses carcans idéologiques et réglementaires et finalement, à suivre la voie tracée par mon vagabond ?

Maos comment croire que cette Europe gouvernée par des idéologues et des bureaucrates va retrouver le chemin de l’histoire alors que sa plus belle avancée en matière d’intelligence artificielle est d’avoir produit cinq grandes régulations pour la limiter ? (rires)…Et pourtant, il le faudrait, car la politique de Donald Trump a hélas ! un autre versant.

Atlantico : Quel est-il ?

Il faut saisir que le parti républicain américain est divisé et que Donald Trump n’est pas un hériter de Ronald Reagan qui associait les valeurs universelles judéo-chrétiennes à la puissance américaine. Donald Trump l’a d’ailleurs critiqué. Lui est l’héritier du président américain Andrew Jackson, qui lança la conquête de l’Ouest, qui supprima la banque centrale, qui réduisit le poids de Washington et qui fut à l’origine du slogan « America first ».Il veut la puissance et l’hégémonie des États-Unis sans se préoccuper des régimes, à l’exception notable de la défense d’Israël.

Ainsi, il voit que l’innovation est la source de la puissance mais, en renouant avec les idolâtries de la Puissance et du Marché, il est pris dans une contradiction flagrante : il freine la créativité et il va ainsi contre le sens de l’histoire. Cela par trois effets pervers : une inflation dans certains secteurs qui va diminuer les ressources disponibles pour l’innovation, une moindre profitabilité des entreprises innovantes par les mesures de rétorsion des partenaires économiques aux mesures douanières et surtout, le plus grave du point de vue de l’histoire, un frein mis à la vraie mondialisation, celle des savoirs et des innovations.

Car c’est par cette mondialisation que s’engage une dynamique qui conduit chacun à aimer son prochain. Or, à la place, s’ouvre la voie du ressentiment, de la méfiance voire des pulsions de haine. Cela au lieu d’éclairer l’humanité par ce flambeau de la statue de la liberté et de nourrir la petite lumière qui est à nos pieds.

Atlantico : Et qu’en est-il de la paix en Ukraine ?

Le livre donne clairement la solution à cette guerre et à toutes les autres. Le vagabond découvre par l’Orient Express quand arrive à la station Sumer la naissance de la guerre mais aussi du colonialisme, de l’esclavagisme, de l’impérialisme et du totalitarisme. Et il constate que ce phénomène est universel dès les âges des Métaux. Il comprend la falsification del’histoire faite par les wokistes et les néo-marxistes qui attribuent tout cela au capitalisme et à l’Occident chrétien qui n’existent pas encore. Plus tard, il découvre que la particularité de l’Occident n’est pas d’avoir pratiqué l’esclavage mais d’avoir proclamé et imposé son abolition.

Mais si le nombre de guerres a considérablement diminué, elles persistent dans quelques zones. C’est à la station Jérusalem que le vagabond découvre l’antidote à la guerre et c’est lorsqu’il rencontre, place de la Sorbonne Thomas d’Aquin qu’il saisit pourquoi cet antidote a tant de mal à être accepté.

Thomas d’Aquin critique en effet les « paix mauvaises » fondées sur les rapports de forces et les relations d’intérêts car ce qu’un rapport de forces ou un intérêt fait, il peut le défaire. C’est de cela qu’ont peur les Ukrainiens, et je les comprends. Car dans cette Europe des charniers, aucun traité n’y fut jamais respecté quand il put ne pas l’être.

Armer l’Ukraine, je saisis donc l’urgence et si le parapluie américain ne s’y étend pas. Et tant mieux si l’Europe parvient à construire une défense digne de ce nom. Mais la paix restera éphémère. Depuis 11000 ans, l’histoire montre que celui qui prépare la guerre ne l’évite pas. Celui qui veut la paix prépare la vraie paix.

Il existe deux conditions indispensables à la vraie paix. D’abord le droit des nations à disposer d’elles-mêmes comme l’avait dit le Pape Jean-Paul II et Ronald Reagan. Ainsi le vagabond distingue droit des États et droit des nations car s’il fallait respecter le Droit international qui est l’expression de la force des États, alors l’Inde serait encore anglaise, le Sénégal français et l’URSS dont rêve Vladimir Poutine encore debout. Le droit international ne mérite d’être respecté que s’il respecte celui des nations. Et s’il ne le respecte pas, alors ne vous étonnez pas si les nations opprimées entrent en guerre ou si ceux qui ont des velléités hégémoniques profitent de l’oppression pour tenter d’agrandir leur empire. Cela vaut aussi pour Kiev.

La seconde condition est le respect des droits individuels qui convergent vers le droit de rechercher son bonheur, ce que le vagabond découvre à au Café des libéraux de Londres. Cela vaut encore pour Kiev.

Et je vous laisse découvrir dans le livre la seconde clef du bonheur, celle qui est l’antidote àtous les malheurs dus aux humains.

Atlantico : À l’inverse, avec la première clef qui dit de dominer la nature, vous rejoignez Trump et vous vous opposez aux partisans du « Pacte Vert », pourquoi ?

Je n’ai pas attendu l’élection de Donald Trump pour défendre une vraie écologie contre l’écologisme des idolâtres de la planète, ennemi du capitalisme et des démocraties libérales. Je l’avais fait dans L’Obscurantisme Vert mais il est vrai que n’étant pas américain certains ont passé leur tour (rires).

Dès la première station appelée « état de nature » le vagabond découvre la clef pour affronter les malheurs dus à la nature et ceux qui en vivent. Il y rencontre Mary Leakey, qui, avec son mari, à découvert et étudié le site d’Odulvaï, en Tanzanie, où se trouvent les restes de nos ancêtres australopithèques d’il y a 1,8 millions d’années. Mary démontre que pour survivre nos ancêtres, en plus d’être charognards et un tantinet cannibales, devaient piller, pêcher, chasser, créer des outils et des habitats bien artificiels. Certes, ils croyaient aussi aux esprits de la nature, et ils exigeaient des sacrifices pour se faire pardonner de devoir ainsi survivre en pillant la nature, mais à la différence de nos écologistes punitifs, plus primitfs qu’on ne le croit, poussés par l’instinct de survie, ils continuaient à tenter de dominer leur environnement avec leur faibles moyens et à fuir évidemment les lieux précaires investis en raison des variations climatiques, des danger et de l’appauvrissement de leur environnement.

Le vagabond découvre alors que la clef de leur survie, s’énonce simplement : dominez la nature et assujettissez ce qui s’y trouve. Et quand il arrivera plus tard à la station Jérusalem par l’Orient Express, il apprendra que c’est aussi ce que dit Dieu aux humains dans la Bible.

Et il découvre que « Courage fuyons ! » et non pas « sauvons la planète ! » fut le mot d’ordre de nos ancêtres à la fin de la dernière glaciation, il y a 11700 ans. Après 2,8 millions d’années de vie nomade du genre Homo, et 300 000 ans pour notre espèce, on les comprend : entre glaciations et réchauffements, tsunamis et séismes, éruptions volcaniques et cyclones, virus et attaques animales, quand arrivent ce moment des premières sédentarisations, 21des 22 espèces du genre Homo avaient été exterminées et il ne restait que 500 000 survivants avec une espérance de vie de 18 ans environ.

Et je prouve dans le livre que la course à la domination de la nature, qui est aussi celle de la croissance, cela marche : les humains sont 8 milliards, l’espérance de vie augmente, 73,3ans en 2024, le P.I.B. mondial aussi, de 45 milliards de dollars en 1400, à 100 000 milliards en2024 tandis que le niveau de vie s’élève et que la famine a quasiment disparu hors zones de guerre.

Atlantico : Niez-vous que cette domination produise des problèmes environnementaux ?

Dans ce livre je traque toutes les idolâtries, y compris celle de la Science. Dès qu’il fait le bilan de ce qu’il a appris à la sortie de l’état de nature, le vagabond saisit que cette clef ne suffit pas au bonheur, car l’augmentation des richesses avec les sédentarisations conduit à la jalousie, aux guerres, à l’impérialisme, à l’esclavagisme, à des destructions massives bref, à agir selon les pulsions les plus morbides.

D’autre part, en raison des tâtonnements de l’humanité qui n’a évidemment pas d’omniscience, il voit bien que ces avancées de l’humanité ne vont pas sans erreurs et dérapages, que la science se trompe. Mais aussi que la force de l’humanité est d’avancer dans la connaissance par essais et erreurs. Ce qui le rassure car il constate alors qu’il n’est donc pas condamné à revenir en arrière, aux peurs et terreurs d’hier.

D’un côté, il va donc aller à la recherche de cette dynamique du savoir, de cette création incessante des moyens de dominer la nature, de mieux en mieux avec le souci de l’humanité. D’un autre côté, il va chercher une seconde clef pour affronter le malheur dû à autrui, des crimes aux guerres, ce qu’il trouvera à Jérusalem, à la fin de son voyage par l’Occident Express et ce dont nous avons un peu parlé.

Atlantico : Contre Marx, vous vous annoncez l’abolition du travail, n’est-ce pas aussi unerupture avec le libéralisme et faites-vous l’éloge de la paresse ?

Non. Mais pas l’éloge du travail non plus. Je développe une nouvelle vision du monde qui se nourrit du libéralisme classique pour aller au-delà. Le vagabond rencontre le libéralisme quand il arrive au Café des Libéraux à Londres. Ce café à trois étages. Au premier, rencontrant John Locke, il découvre les droits individuels inaliénables, dont celui de rechercher son bonheur. Au second, avec Clementine, fictivement l’épouse de Churchill, il découvre la démocratie libérale avec son État variable chargé de protéger ces droits, comme cette liberté de vivre en sécurité avec son corps. Au troisième, avec Adam Smith, il découvre le libéralisme économique, avec sa croyance que le travail est source de la richesse, cause de bienfaits mais aussi incapacité à assurer le bonheur des Cosette et Gavroche par le seul jeu des libertés.

Il rencontre plus tard Marx, dans le train vers Berlin, et il comprend l’errance de ce philosophe qui, comme tous les théoriciens socialistes est certes sensible à la souffrance ouvrière mais qui ne comprend rien à l’origine de la production de la richesse. Car il croit que c’est le travail qui la produit et il se persuade, prophétisant la crise générale du capitalisme, que c’est l’exploitation de la force de travail ouvrière qui serait la cause des richesses. D’où sa théorie de l’appauvrissement des ouvriers, de la révolution violente et de la dictature d’un parti qui s’autodésigne comme parti de la classe ouvrière.

Mais, à la différence du capitalisme, son échafaudage s’effondre : non seulement l’ouvrier peut être remplacé par la robotique et l’intelligence artificielle mais plus il l’est, plus il y a de valeur ajoutée et de profits. C’est l’innovation, comme le pensait Schumpeter, qui est la source des richesses, pas le travail.

Et je démontre, notamment avec la robotique associée à l’intelligence artificielle que l’un des plus importants signes de la révolution des Temps contemporains, de sa radicalité inouïe, est l’abolition du travail. Une excellente nouvelle. Adieu les prophètes de malheur qui, depuis des millénaires, prétendaient l’humanité condamnée au travail. 

La croyance que sans le travail nous serions condamnés à la paresse et les sociétés à stagner, vient de la confusion entre les deux mots « activité » et « travail ». C’est lors de la rencontre avec Aristote que le vagabond voit la différence. Et pour cause : celui-ci, en aristocrate, célébrait l’activité humaine libre mais non le travail. Premier théoricien de l’économie, il avait découvert que machines, animaux ou outils sont interchangeables dans le processus de production et que l’usage de l’humain conduit à l’aliénation de l’intellect. Il avait imaginé des robots qui libèreraient des activités serviles pour permettre à chacun de se réaliser comme être actif. C’est d’ailleurs cela l’origine du mot « robot », inventé en 1920, par le romancier Karel Čapek, à partir du mot « robota » signifiant « travail » en tchèque : le robot est cet outil sur lequel on transfère l’ex-travail humain. Un transfert qui libère l’activité proprement humaine de l’activité servile.

Il ne faut donc pas craindre la paresse qui intervient comme l’ennui, lorsque l’on ne se sent pas concerné par une activité. Du bricoleur du dimanche au sportif qui veut gagner une compétition, du savant au journaliste qui veut terminer son article, de l’élève qui peut se réaliser à l’école au lieu d’en être dégouté à l’artiste, force est de constater que lorsque l’être humain peut réaliser sa créativité, il n’est pas paresseux mais joyeux et actif. Et je démontre dans ce livre que la libération du travail servile est la condition pour exercer la formule du bonheur pour toute l’humanité, pour créer sa vie comme une œuvre d’art.

Atlantico : Ne faut-il pas craindre l’intelligence artificielle qui ouvre les portes du savoiraux crimes et au terrorisme ?

Comment ne pas s’amuser, comme le fait mon personnage, devant ces prophètes de malheur qui dénoncent cette intelligence artificielle et qui permettrait, nous dit-on, de créer des armes, y compris nucléaires. Diantre ! Mais puisque le massacre de 800 000 Tutsis au Rwanda en quelques semaines, d’avril à juillet 1994, a été produit à coups de machettes, faudrait-il interdire les machettes ? Et les terroristes produisant des armes chimiques, faudrait-il interdire l’enseignement de la chimie ?

À cet égard, je n’évoquerai pas certains experts qui, sans bien entendu me citer, n’ont pas hésité à piller mon livre de 2018, Le Bel Avenir de l’Humanité, réponse de fond à Yuval Noah Harari sur cette question, ce qui avait conduit les éditions Calmann-Lévy à relancer la collection L’esprit libre de Raymond Aron. Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir (rires).

États-Unis et Chine se sont lancés dans cette course. Ils ont raison, car ce n’est de ne pas libérer l’intelligence artificielle dont nous souffrons mais de ne pas la libérer assez. Nous en avons besoin pour exercer au mieux les quatre clefs face aux quatre malheurs qui nous assaillent : face la nature pour mieux la dominer, face à autrui pour créer une dynamique de paix entre les civilisations, face à soi-même pour s’aimer mieux comme être créatif, face à l’illusion d’une nature coupable pour développer une dynamique de créativité qui conduira l’humanité vers l’amour d’elle-même et de l’énergie créatrice du monde. 

Atlantico : Ne faut-il pas craindre qu’une super intelligence artificielle finisse par dépasser voire remplacer l’humanité ?

Que de fantasmes développés par les prophètes de malheur et les transhumanistes. Certes, la plus simple des machines à calculer calcule mieux et plus vite que nous, comme le montre l’application «calculette » de notre smartphone. Mais elle ne nous est pas supérieure, pas plus que le marteau par lequel j’enfonce le clou n’est supérieur à la main qui le tient, ni ne menace de me remplacer. (rires)

C’est en rencontrant Albert Einstein dans la Vallée de Miel, le vagabond découvre les mots « intelligence » et « mémoire » n’ont pas le même sens pour les ordinateurs et l’humanité. Pour aller vite, la mémoire humaine est dynamique, liée à un inconscient, invisible et irrationnel, qui oublie et interprète. Or, aucune machine logique ne peut reproduire par des bits ou des qubits l’inconscient, ni ce qui ne peut être illogique et arbitraire. Et le mot «intelligence » est un autre abus de langage. Concernant la machine, ce mot désigne, au mieux, cinq activités mathématisables du cerveau, et toutes limitées par le cerveau du programmateur. Les activités du cerveau humain sont incommensurablement plus nombreuses. Par exemple, nous utilisons l’intuition, nos sens, nos émotions, nos sentiments… Nous pouvons mentir, simuler, dissimuler, ruser, être de mauvaise foi, être incohérent et même débrancher le circuit électrique. Surtout, nous pouvons être créatif tandis qu’une machine logique développe un programme créé par un être créatif, l’humain…

Et laissons l’histoire de Mère-Grand revisitée par nos prophètes qui irait bouffer le Petit Chaperon rouge humain. Fantasme popularisé par Ray Kurzweil, qui n’hésitait pas, en 2012, à prédire la Super Intelligence dans les quinze ans, et par Nick Bostrom persuadé que l’on parviendrait à scanner les morceaux de tissu d’un cerveau d’invertébré et à reconstruire en trois dimensions un réseau neuronal.

Pour qu’une telle Super Intelligence existe, il faudrait imaginer qu’elle puisse connaître les milliards d’évènements de l’univers, du bruissement d’aile de papillon aux milliards de neurones de chaque individu. Or, quel que soit son niveau de connaissance, une telle machine devrait passer 10-43 seconde au moins pour passer en revue le réel, mesure de l’unité de temps la plus courte possible. Durant ce court laps de temps, des milliards d’évènements se seront produits. La machine devrait donc recommencer ses calculs avant d’agir et ainsi de suite tous les 10-43 secondes. Elle serait incapable d’action.

Et je prouve contre les matérialistes que les idées ne sont pas produites par les axones, ces parties longues des neurones qu’ils imaginent comme de minuscules parties de matière que l’on pourrait reproduire par des microprocesseurs. Ils ignorent tout de la physique des particules, de ce qu’est l’énergie, de l’interaction électromagnétique, l’interaction faible et l’interaction forte. Bref, je prouve qu’un ordinateur ni ne peut agir, ni penser par lui-même. Il est agi et son prétendu « apprentissage profond » a la profondeur du programmateur.

À l’inverse, quelle supériorité de l’être humain ! Si, pour agir, notre « je » devait passer en revue toutes les données de sa mémoire, et tous les dangers possibles, de la voiture qui pourrait l’écraser à la tuile qui pourrait tomber, il ne pourrait pas sortir de chez lui. Mais le «je » délibère, choisit, agit, délaissant la part de ses souvenirs inutiles, décidant parfois même l’improbable, l’illogique, parce que cela l’amuse, parce qu’il y voit le chemin de sa propre créativité ou parce qu’impossible n’est pas français comme dit l’adage populaire. (rires)

Atlantico : Dernière question sur votre philosophie morale quel est le critère de lamoralité ?

Pour aller vite, il est donné par la formule du bonheur : créez ! Le vagabond découvre ainsi à Buchenwald que la joie et le plaisir peuvent être éprouvés par les tortionnaires et que l’énergie n’est pas nécessairement créatrice contrairement à ce que pensait Nietzsche. Il découvre aussi dans le train contre Kant, un aigri de la vie (rires), que la morale n’est pas dans le respect d’une loi abstraite ou d’un commandement, mais dans l’action qui vise l’amour de l’humanité, ce qui autorise le mensonge, comme le firent ceux qui, telle ma grand-mère, mentirent aux soldats allemands pour préserver la vie des enfants juifs et des résistants. Car l’amour de l’humanité est la vraie loi, celle qui se passe de loi. Or, puisque les êtres humains ont une nature créatrice, agir pour détruire des humains, voilà le mal en soi. Et même dans les guerres justes, que je théorise dans ce livre suivant d’ailleurs grandement Thomas d’Aquin, ce ne sont pas les êtres humains qui sont affrontés mais leurs pulsions destructrices, leurs pulsions morbides, et tout est fait pour les sauver, leur tendre la main, pardonner, donner. La mort parfois portée par nécessité pour survivre, avec en vue l’humanité, conduisant à une extrême tristesse. À l’inverse, et je ne développe pas plus, chacun pourra en voir le développement dans mon livre, créer revient toujours, au fond, à un acte de grande moralité, à se tourner de l’amour de soi vers l’amour d’autrui, à ouvrir le chemin du bonheur qui nous met en harmonie avec l’énergie créatrice du monde. Cela est vrai même dans les actes apparemment les plus humbles, comme celui de Jean Valjean qui a rencontré un prêtre qui lui a pardonné et qui a créé par son acte d’amour un jean Valjean nouveau, un être qui à son tour devient un passeur de l’aimer et qui crée alors en aidant Cosette à porter son seau, un autre être qui hier misérable va devenir un être tourné vers l’amour. Voilà le bien, voilà la dynamique divine de bonheur qui révèle celle de l’amour, voilà la Vallée de Miel.

(Entretien suivant et dernier entretien, sur les secrets du livre qui renvoient à une lecture métaphysique et ésotérique chrétienne).