La gauche s’est-elle mal préparée à l’exercice du pouvoir?

La gauche s’est-elle mal préparée à l’exercice du pouvoir?

Entretien 9 mai, Altantico

 

1 – Dans une interview accordée au magazine Society, Manuel Valls a déclaré que « pendant ses dix ans d’opposition, la gauche s’est mal préparée à l’exercice du pouvoir ». Il y a une semaine, c’était le ministre des Finances qui se désolait du fait que “les premières critiques vis-à-vis de l’action gouvernementale ne viennent pas de l’opposition [mais] de la gauche qui n’aime pas la difficulté de l’exercice du pouvoir”. Ces deux « justifications » ne sont-elles pas largement insuffisantes pour expliquer le problème de la gauche au pouvoir ? En quoi pourrait il s’agir d’une crise existentielle, plus profonde, découlant d’une incapacité à redistribuer, du fait des contraintes économiques actuelles ?

 

Yves Roucaute : cette question est intéressante car elle met le doigt sur un problème sémantique et politique. En réalité, la gauche n’existe pas. Il existe des gauches et la volonté de s’approprier dans l’imaginaire un projet qui s’appellerait « la gauche ». Quand les gauches sont confrontées à des questions importantes comme ici celle de la gouvernance dans un contexte de mondialisation, les différents apparaissent, qui ne sont pas seulement des différences de sensibilité mais bien des oppositions radicales. Le mot « la gauche » révèle une sorte d’imposture.

 

Sous la IVème république, il était d’ailleurs inimaginable que les socialistes qui étaient parfois au gouvernement fassent une quelconque alliance avec la gauche révolutionnaire. Ils leur préféraient les centristes voire la droite libérale. Plus loin encore, sous la IIIème république, la gauche « syndicale » composée d’anarcho-syndicalistes et de syndicalistes révolutionnaires détestait les socialistes. Elle dénonçait, comme face au réformiste Millerand, le « ministérialisme », c’est-à-dire ceux des socialistes qui acceptaient de participer aux gouvernements successifs pour engager des réformes. Cette gauche avait même imposé au congrès de la CGT, en 1906, la Charte d’Amiens qui énonçait le refus de toute alliance.

L’opposition entre les gauches a toujours été réelle et parfois aussi violente. On se souvient que c’est la gauche socialiste qui n’a pas hésité à réprimer les grandes grèves de la gauche révolutionnaire sous la IIIème et la IVème République.  Léon Blum avait renvoyé les communistes du gouvernement à la Libération et ils n’y sont plus revenus jusqu’en 1981.

En fait, l’idée d’une union de la gauche est extrêmement neuve puisqu’elle date de 1972. Avec le Programme Commun de gouvernement signé par le Parti socialiste, le PCF et les radicaux de gauche. C’est un coup tactique, les communistes croyant ainsi bouffer les socialistes, et François Mitterrand croyant ainsi gagné les élections puis bouffer les communistes. Il n’a d’ailleurs tenu qu’un temps puisque quelques années plus tard, en 1977, Georges Marchais, le Secrétaire général du Parti Communiste, se rendant compte qu’il était perdant, le programme volait en éclat. Mais pas l’unio,n, pour des raisons purement électorales qui ne se justifient plus aujourd’hui.

Car toute une partie de la gauche a toujours été réformiste. Et celle-ci a souvent été malmenée par les révolutionnaires, jusqu’à son élimination physique systématique dans les pays où les communistes prirent le pouvoir. François Mitterrand a seulement su jouer des uns et des autres au gré des vents et de ses intérêts… Par exemple, en 1981 la gauche est incapable de gérer précisément parce que le Président a fait alliance avec la gauche communiste qu’il préfère alors à la gauche gouvernementale, incarnée par exemple par Jacques Delors. Puis, il est revenu vers cette gauche réformiste.

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Aujourd’hui, on découvre le pot aux roses. Il y a des roses rouges pleines d’épines. Ceux qui croient toujours à la lutte des classes, née de la révolution industrielle, qui n’admettent pas que l’entreprise peut être un lieu de création, qui voit dans tout patron un ennemi à abattre, comme les ringards de Nuit Debout.

En face d’elle existe une gauche réformiste, celle de Macron, Valls, Le Guen, qui tente de mettre en place une culture gouvernementale. François Hollande est entre les deux chaises. Car la réforme du parti socialiste n’a pas eu lieu. Et s’il est trop réformateur, il se met à dos la gauche radicale, sans aucune chance d’être réélu. S’il ne l’est pas assez, il se met à dos la gauche réformiste, qui veut avancer. Pas facile.

 

2 – Les vœux du président pour l’année 2014 ont marqué le tournant libéral du quinquennat. L’acceptation de l’économie de marché par un gouvernement de gauche ne peut théoriquement tenir que grâce à la contrepartie d’un surplus de redistribution. Cependant, le fait que le gouvernement actuel ne soit pas dans une situation économique qui le lui permet peut-il le conduire à une forme de paralysie ? En quoi la gauche au pouvoir, confrontée à cette réalité, est-elle en train de muter ?

 

Yves Roucaute : Que peuvent cette gauche réformiste et cette gauche sociale-démocrate ? Tout d’abord, il faudrait au gouvernement se tourner vers une gauche plus cohérente et se débarrasser de cette vieille gauche révolutionnaire, de ses logiques du XIXème siècle, et ressembler un peu plus à celles qui existent en Allemagne ou aux Etats-Unis.

 

Le problème, c’est que la gauche gouvernementale doit compter sur l’Etat pour faire les réformes, et c’est bien là son problème. Car, dans son logiciel, en particulier social-démocrate, mener des réformes signifie les mener par le biais de l’Etat et une politique redistributive. Deux leviers traditionnels de la sociale-démocratie. Or, l’Etat ne peut redistribuer que s’il ponctionne. Et on est arrivé à un point où toute ponction supplémentaire tue la relance.

 

En vérité, la gauche française a raté le virage de Rocard qui appelait de ses vœux une révolution des logiciels. François Mitterrand a finalement gagné, et c’est là l’origine des problèmes auxquels François Hollande doit faire face. Lui-même n’ayant pas montré un grand courage, quand il était Premier secrétaire du P.S. pour contribuer à l’évolution du parti.

 

Est-ce que François Hollande peut s’en tirer ? Tout ce qu’il peut espérer, c’est que la France soit tirée par le développement européen et international en priant pour que la reprise se confirme. Et, ainsi, espérer se présenter en 2017.  Ce qui n’est pas impossible.

 

3 – En 2011, le think-tank Terra Nova rédigeait une note qui préconisait de se détourner des populations ouvrières au profit des populations « urbaines » et « diplômée », et de défendre les populations issues de l’immigration (voir ici). Ce tournant sociétal, basé sur un « changement de peuple » est également régulièrement avancé pour expliquer la mutation du pouvoir socialiste. Ne s’agit-il pas plutôt, ici encore, d’une contrainte découlant d’un phénomène plus profond ? 

 

Yves Roucaute : D’un point de vue purement lucide, Terra Nova a parfaitement raison. Il n’y a pas d’avenir politique pour ceux qui veulent perpétuer une tradition ouvriériste, avec une population ouvrière toujours moins nombreuse et qui est de plus en plus formée d’immigrés qui désirent entrer dans les classes moyennes ou entrer au pays. Cela n’a plus rien à voir avec la population ouvrière du début du XXème siècle, avec sa « conscience ouvrière », ses mœurs, ses relations au travail, ses désirs.

Il y a d’ailleurs longtemps que le PS n’est plus un parti ouvrier. Il l’est resté un peu dans le Nord et dans les Bouches du Rhône jusque dans les années 80, mais le parti ouvrier hier c’était surtout le Parti communiste, parfois les gaullistes, et, aujourd’hui, en ce qui concerne les ouvriers dits « blancs » c’est plutôt le Front national.

Si le PS veut construire son avenir, il doit abandonner les logiciels qu’il avait auparavant et parler aux classes moyennes et au bas des classes supérieures qui sont d’ailleurs aptes à entendre un discours de social-libéralisme, auquel elles ont intérêt objectivement.

Certes, le PS a commencé à séduire ces électeurs mais, pris dans ses anciennes alliances, incapable de rompre avec le discours de la gauche classique et archaïque, il peine à se faire entendre. Il est simplement temps que le PS prenne en compte la révolution numérique, les nouvelles forces sociales émergentes et les nouvelles catégories diplômées et urbaines.

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