Valeurs Actuelles. 2 juin 2016
“Extrême droite”, “fascisme” :le grand simulacre de la gauche
Vers le retour
de l’extrême gauche fasciste ?
Incapables de penser les mouvements de rejet
de l’establishment en Europe, les idéologues adoptent le degré zéro de la pensée. BLOC-NOTES
Par Yves Roucaute
Sus au “fascisme”, à l’“extrême droite”, au “nazisme” ! Gauche et extrême gauche ne crai- gnent pas l’usage de ces mots pour diaboliser leurs adversaires. Et la plupart des médias enfour- chent le cheval, suivis par des dirigeants de droite qui ne craignent pas de patauger dans les sillons. Penser, en France, est devenu un luxe. Relever le sens caché, un boulot dangereux.
Je m’y risque pourtant. Un truc du type recherche de la vérité, à déconseiller en tout cas. Peut-être le souvenir de Charles de Gaulle ou de Ronald Reagan, traités de “fasciste” naguère. Par les mêmes. Par ceux qui aujourd’hui, tel un ani- mateur du Petit Journal de Canal Plus, pensent que la Shoah est un détail de l’histoire, jusqu’à présen- ter Donald Trump décoré d’une croix gammée tenant son pré- tendu livre de chevet, Mein Kampf, tandis que l’Humanité colle la photo de Pétain à Nicolas Sarkozy, le fameux « libéral-fasciste ». De Norbert Hofer à Viktor Orbán, “hou, hou, méfions-nous, les fascistes sont partout”, nous dit-on.
Bien joué. Assimiler fascisme et extrême droite ? Dans “extrême droite”, il y a “droite”, le truc est
là. Le quidam ordinaire doit le sentir : la droite est potentiellement “extrême”, donc “fasciste”. Malin.
Rappeler que l’opposition au fascisme, en France, a d’abord été celle de la droite, en particulier de Charles de Gaulle, et non de la gauche, qui fut collabo ou pacifiste, au moins jusqu’à l’arrivée des troupes allemandes à Paris ? Que la grande figure de la lutte antifasciste dans le monde ne fut pas le communiste Staline, qui avait signé un pacte de non-agression avec Hitler, mais un libéral et conservateur, Winston Chur- chill ? Que la troisième grande figure de l’antifascisme fut Franklin Roosevelt, anticommuniste et antisocialiste notoire ? Bon, je sens que déjà cela ne plaît pas. Pour la suite, il me faudra un abri.
Le fascisme ? Né à gauche, à l’extrême gauche. Inventeur ? Le socialiste Mussolini, Benito…
L’extrême droite, camarades ? Royaliste, catho- lique, antipopuliste. Rien à voir avec le fascisme. Le fascisme ? Né à gauche, à l’extrême gauche. Inven- teur ? Le socialiste Mussolini, Benito, en référence à Benito Juárez, révolutionnaire mexicain. En mars 1919, à Milan, il crée les Faisceaux italiens de com- bat, origine du mot “fasciste”. Il se fait connaître en mai 1901 en interdisant aux enseignants d’entrer dans une école en grève. En Suisse, en 1902, il rencontre son égérie : Angelica Balabanova, amie de Lénine, décrite dans la Pravda comme celle qui conduit la politique révolutionnaire en Italie. Il publie, en 1903, un ouvrage anticlérical : Christ et Citoyen. Et il devient le socialiste le plus populaire, après deux condamnations pour avoir agressé des “exploiteurs”. Nationaliste, il déve- loppe la thèse applaudie par Lénine, et reprise par Mao plus tard, de la “nation prolétaire” italienne, opposée aux “nations ploutocratiques” qui ont des colonies. En 1912, il l’emporte dans le Parti socialiste contre les “droitiers”. Et sa popularité croît quand, après des sabotages économiques, il est emprisonné ; le futur secrétaire général du Parti socialiste, Pietro Nenni, l’appelle alors Duce. Nommé directeur d’Avanti!, le journal central du parti, il organise la grève générale ouvrière de 1914. En octobre, il se pro- nonce pour la guerre, comme les autres socialistes européens, et crée Il Popolo d’Italia, avec cette réfé- rence à Blanqui : « Qui a du fer a du pain. » Exclu, celui qui est alors le socialiste le plus populaire du pays réplique : « En m’excluant, vous ne m’interdirez pas la foi socialiste ni le combat pour la révolution. »
Les grandes grèves de 1921 ? C’est aussi lui, jusqu’au référendum du 23 septembre, organisé par le syndicat de la métallurgie (FIOM), qui vote leur arrêt et le refus des “conseils d’usine”, ces soviets anarchistes et communistes, soutenus par Moscou.
Applaudi par le gouvernement et les socialistes, Mus- solini les affronte : ils préfèrent la Russie à la classe ouvrière italienne, dit-il. En août 1921, il signe un “pacte de paix” avec les socialistes, peu gênés par les violences contre chefs d’entreprise, police, militaires et prêtres. En décembre, il y met fin, assuré de l’appui des dirigeants syndicaux révolutionnaires et de 310 000 adhérents. En 1922, ce sont les marches, en particulier sur Rome. Nommé président du Conseil, il gouverne, au début, avec des ministres socialistes, joue au fils du peuple, pain et jeux, surtaxe des riches, impôt sur le capital, interdiction de la spéculation, grands travaux, emplois créés par l’État, semaine de 40 heures, augmentation des salaires, quadrillage du pays sur le modèle léniniste.
Partout, en Europe, les groupes fascistes sont créés par des socialistes. Au Royaume-Uni ? Par Oswald Mosley, député travailliste, qui fonde, en 1932, l’Union des fascistes britanniques. En France ? Par le député socialiste Marcel Déat, ministre du Front populaire en 1936, fondateur du Rassemble- ment national populaire.
Et Hitler ? Il apprend nationalisme et révolution dans les cafés de Vienne. Et un antisémitisme nou- veau qui n’est plus celui, traditionnel, lié à la terre, qui excluait les juifs, mais révolutionnaire, qui exige l’élimination des bourgeois, “donc” des juifs. Héritage de la gauche française du XIXe siècle. C’est le journal Candide, celui d’Auguste Blanqui, qui inventa la supériorité de la race aryenne. C’est Édouard Dru- mont, collaborateur de l’officielle Revue socialiste, repère d’antisémites révolutionnaires, qui, dès 1886, écrit la France juive. C’est Georges Vacher de Lapouge, auteur préféré de Goebbels, candidat socialiste en 1888, fondateur de la section socialiste de Montpellier, qui publie l’Aryen, son rôle social (1899), qui choisira l’extrême gauche, en 1902.
Qui appelle Hitler pour être ministre de la Propa- gande dans le gouvernement bavarois de 1920 ? Les socialistes. Membre du Parti ouvrier allemand, qui se réclame des bolcheviks, Hitler va créer le Parti national-socialiste des travailleurs allemands. Socialiste ? Mais oui. Dans Mein Kampf, il indique qu’il a choisi la couleur rouge de la révolution socialiste et, à la place de la faucille et du marteau, le svastika, symbole de la refondation de l’homme. Goebbels pourra écrire dans Die zweite Revolution (1926) : « Les seuls vrais socialistes de l’Allemagne, de toute l’Europe, c’est nous ! » En 1933, prise du pouvoir et descentes dans les entreprises pla- cées sous la surveillance du parti, perquisitions chez les entrepreneurs, plan de quatre ans de Göring sur le modèle soviétique, SS aux conseils d’administration, héritages sous contrôle, expropriations… Et en France ? Le fondateur du parti nazi, le Parti populaire français, est le député communiste Jacques Doriot.
Hé ho la gauche ! Êtes-vous certain de pouvoir appeler “fasciste” un Donald Trump, héritier de Jack- son et de Jefferson, un Norbert Hofer, nationaliste libé- ral, un Nicolas Sarkozy et bien d’autres qui sont patriotes, libéraux, non violents, respectueux des droits individuels et des institutions ?
Curieux, cette gauche qui n’a pas le nez assez fin pour sentir l’odeur de ses propres crottes. Car qui, aujourd’hui comme hier, insulte et diffame ses adver- saires ? Refuse les institutions démocratiques parle- mentaires au point de s’opposer par la force à la loi ? Attaque la police républicaine pour blesser, voire tuer ? Distille la haine sociale et politique ? Voue au pilori libéraux et liberté d’entreprendre ? Propage l’an- tisémitisme au nom de la prétendue défense des Pales- tiniens ? Frappe les cadres d’Air France, bloque les voies, menace physiquement les non-grévistes des raf- fineries ? Tire sur les sièges des partis ? Cela ne rappel- lerait rien, non, rien de rien ? Va-t-il donc falloir, comme d’habitude, que la droite républicaine vienne au secours des réformistes pour les libérer de la menace de l’extrême gauche factieuse ? ●
Yves Roucaute, philosophe, professeur des universités, agrégé de science politique et de philosophie.