Immigration, identité, patriotisme évoqués par François Hollande lors de ses voeux.
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Atlantico : Dans l’interview qu’il a accordée pour le 14 juillet, François Hollande a beaucoup insisté sur les thèmes de l’immigration, de l’identité nationale. Déjà après les attentats, le Premier ministre déclarait : « Nous avons trop laissé au cours de ces dernières années ces thèmes à la droite extrême ». Dans quelle mesure le fait que la gauche s’attaque au sujet constitue-t-il une évolution positive ?
Yves Roucaute : François Hollande a eu raison, car il y a là un point sur lequel les élites de droite, de gauche et du centre, doivent reprendre pied. Il paye néanmoins le prix d’une ignorance des enjeux comme le montre sa totale incompréhension de ce qu’est une civilisation. La confusion à ce niveau de l’Etat est confondante. Il confond même civilisation avec une religion. Il y a là le signe d’une médiocrité affligeante qui n’est pas sans rappeler celle du fameux député martiniquais qui dénonça en ignare absolu le discours que j’avais écrit pour mon ami Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, sur l’inégale valeur des civilisations. Il crut voir du nazisme dans cette affirmation que les civilisations qui ne respectent pas les droits de l’homme ou la dignité de la femme valent moins que celles qui les respectent. Au lieu de saisir que les civilisations de la Corne d’Afrique qui infibulent des millions de femmes ou que les civilisations incas ou romaines qui sacrifiaient des humains, ou que le projet de civilisation fasciste ou national-socialiste nés dans la gauche socialiste peuvent ainsi être combattus, on a vu une armada d’ignorants relativistes, de gauche surtout mais aussi de droite, prétendre que toutes les civilisations se valent et que parler même de civilisation était la marque du nazisme. On faillit avoir une déclaration de guerre de ces ignares contre toutes les universités du monde puisque, évidemment, on y trouve partout des cours de civilisation, chinoise, japonaise, etc…
Il est quand même surprenant que durant un temps, fut-il court, disons depuis la fin des années 70, environ jusque vers 2005 environ pour la droite, et jusqu’à aujourd’hui pour une partie de la gauche réformiste, le Front national se soit trouvé quasiment seul à mettre en avant le drapeau bleu blanc rouge ou à faire l’éloge de Jeanne d’Arc. Si l’on excepte des courants représentés par Jean-Pierre Chevènement à gauche, ou par Charles Pasqua à droite, voire quelques nostalgiques de la monarchie, la déroute idéologique a été rude au point de détricoter la culture française en brisant le socle culturel, jusque dans les livres d’histoire. Par exemple, « nos ancêtres les Gaulois » était certes en partie fantasmatique mais cela permettait d’assimiler tous les enfants de la République autour d’une culture commune, cela permettait de souder la nation civique. En quelque sorte, fils d’Arménien ou de Portugais, d’Espagnol ou de Turc, fils de Vietnamien ou d’Ivoirien, en devenant français devenaient porteurs de cette histoire commune au même titre que les enfants d’Auvergnats ou de Bretons. Et leurs ancêtres étaient bien alors les Gaulois parce que ce qui importe n’est pas la couleur de la peau ou l’origine ethnique mais les valeurs que l’on porte, contrairement à ce que croient certains dirigeants de la gauche. Ce qui fait qu’un Barack Obama est Américain, descendant des pères Pèlerins qui accostèrent au Cap Cod, au même titre qu’est Français et descendant des Gaulois Nicolas Sarkozy dont le père arriva de Hongrie en France.
On doit aux soixante-huitards d’avoir affaibli la nation civique. Ces « demi-habiles », comme aurait dit Pascal, ont crut malin de constater que les enfants de l’immigration n’étaient pas des fils de Gaulois. Sans le savoir, ils ont ainsi défendu une conception ethnique de la nation, celle qui avait précisément les faveurs des néofacistes et des nationalistes. A cause d’eux, il n’y a pas si longtemps, se dire patriote, était mal vu et confondu avec le nationalisme. Cela faisait « ringard » et surtout « réactionnaire ». Alors que le patriotisme est une valeur d’avant garde, car il signifie précisément un attachement non au sang mais à des valeurs, à un mode de vie. Et lorsque quelques néoconservateurs rappelèrent que l’on pouvait conjuguer droits universels, patriotisme et puissance de leur pays, ils furent bien reçus aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, aussi bien à droite qu’à gauche, mais en France la débandade idéologique était telle qu’ils furent accusés de tous les maux. Pourtant, il n’est pas un seul pays démocratique où les partis de gouvernement ne saluent leur drapeau et ne chantent leur hymne national, pas un seul pays où le patriotisme ne soit considéré comme l’élément décisif de la puissance, parce qu’il est la clef de la force morale d’une nation.
La gauche, parce que les soixante-huitards étaient surtout puissants chez elle, a subi plus que la droite cette débandade, protégée par le gaullisme et le « pompidolisme », eux-mêmes inspirés par le thomisme.
A gauche ce fut la déroute. Alors que la gauche réformiste durant le XIXème siècle était patriote, songeons à Millerand, au point d’oublier les valeurs universelles en lançant une politique colonialiste sans précédent avec Jules Ferry notamment, ce qui n’était pas sans évoquer leur grand ancêtre Danton. Elle succomba sous le coup des sirènes gauchistes. Jaurès fut transformé en pacifiste bêlant, ce qu’il ne fût pourtant jamais, Léon Blum devint un européen oublieux de la puissance française, ce qui est pourtant faux. Le mitterrandisme, dont la gauche n’a jamais voulu faire l’inventaire, ouvrit les vannes de l’abandon du patriotisme, et du relativisme, même si l’on vit un sursaut lors de l’affaire des SS20. La suite, avec la montée en puissance d’une élite socialiste issue de l’ENA, où les humanités sont réduites à quelques références pour « briller » en début de plan en deux fois deux parties, fut catastrophique. Faute de vraie culture politique, les énarques Lionel Jospin, Ségolène Royal, Martine Aubry, François Hollande firent le grand plongeon dans la confusion idéologique et le relativisme, aidés par une vision de l’Europe qui correspondait à leur culture : technocratique et acculturelle.
Notons, en passant, que ce processus fut aussi celui de la gauche jacobine, surtout incarnée à partir de 1934 par le Parti communiste. Certes, la direction de celui-ci fut prise dans les rêts du soutien à l’URSS mais il existait, jusq’aux sommets du PCF, un patriotisme réel, profond dans la base communiste ouvrière et agricole, dont la résistance fut l’un des symptômes tout autant que l’épisode Waldeck Rochet. La mise à lécart de Georges Marchais sonna le glas du patriotisme communiste devenu alors une organisation gauchiste d’employés communaux et d’élus locaux.
Bref, François Hollande commence à comprendre la nécessité de cesser les attaques contre la droite qui a décidé de ne pas laisser le terrain du patriotisme à un Front national qui est précisément nationaliste, et c’est bien.
Mais je ne crois pas que le PS qui représente surtout une fraction de la haute administration, pourra prendre pied sur ce qui est un des socles éthiques de la France et engager les réformes qu’il faut, de la lutte contre les incivilités au salut au drapeau dans les écoles, de la réforme des manuels scolaires à la lutte contre le relativisme, d’une remise à plat de la conception de l’Europe à celle du recrutement des élites politiques.
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Quelles leçons tirer des polémiques et de l’échec du débat sur immigration et identité nationale qu’avait voulu Sarkozy ?
Yves Roucaute :
Il n’y a qu’une leçon à tirer : il faut cesser les faux débats et les tactiques politiciennes qui visent à marquer des points contre les adversaires sur la scène politique. Il faut revenir au diagnostic : nous souffrons d’un manque d’assimilation. il faut donc ouvrir un débat sur les conditions de valorisation et d’intériorisation imaginaire de cette identité française, de cet esprit de notre nation, que j’ai décrit dans « Eloge du mode de vie à la française » (ContemporaryBookstore).
II nous faut non une politique d’intégration et encore moins ce « droit à la différence » soixante-huitard destructeur, mais une politique d’assimilation qui n’a rien à voir avec ce que je lis parfois, qui fleure la haine, au lieu de l’aimer, qui est la marque de fabrique française. Car l’assimilation, la vraie, pas celle de certains, telle est la condition de la vie d’une nation. Et l’esprit de notre peuple ne peut renouer avec l’esprit du temps que si nous reprenons pied sur ce sol éthique que nous portons dans l’histoire. Sinon, l’esprit français est condamné par l’Histoire. Et l’on pourra dire qu’il a fait son temps.
Mais, je crois qu’il est possible de renouer avec l’histoire. C’est de cela dont il faut discuter. Cela en défendant d’abord ce mode de vie sucré que le monde entier nous envie et qu’il imite de plus en plus. Et cela, il nous faut le défendre concrètement, dans sa quotidienneté, à partir du petit déjeuner avec la tartine beurrée ou le croissant, qui rappelle avec humour la victoire de 1683, à Vienne, contre les Turcs et leur drapeau en forme de croissant. Une défense de la quotidienneté qui va jusqu’au dîner avec cette façon si française de partager « christiquement » pour tous le pain et le vin.
Ensuite en hissant haut les valeurs universelles affirmées par notre patrie, celles des devoirs et droits des humains, de la dignité de la femme que nous avons inventée en France dés le Moyen-Âge par l’amour courtois et la galanterie, bien avant que Charles De Gaulle ne donna le droit de vote aux femmes qui avait été refusé par le Front Populaire.
Enfin, il nous faut assimiler dans cette quotidienneté le goût de la puissance de la France et l’amour pour elle, un amour qui doit pouvoir aller jusqu’au sacrifice de ses intérêts particuliers. Un amour qui doit conduire à ouvrir un débat sur l’Europe que nous voulons, sur les alliances qui nous importent, sur la vision du monde que nous voulons porter. Le patriotisme est de retour, et c’est tant mieux. Ce sera, et cela doit toujours être sous peine de n’être qu’un leurre dissimulant une nation morte, toujours une idée neuve.
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