« Impensable abandon du droit du sol ! »
LE MONDE |
Les deux poids lourds de l’UMP, François Fillon et Jean-François Copé ont, enfin, trouvé un point d’accord : « Sus au droit du sol ! » A l’unanimité, la direction de l’UMP a applaudi. Fiscalité ? Chômage ? Nenni. Supprimer le droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France, tel serait le programme commun de rentrée. Un œil sur son ego, un autre sur les bataillons du FN, la garde de l’U.M.P. ne meurt pas, elle se rend.
Curieux. La puissance du FN ? La faute au droit du sol ? Pourquoi les Etats-Unis, qui ont une immigration clandestine plus forte encore et un droit du sol plus généreux, ne voient-ils pas un Front national émerger ? Pourquoi l’Autriche qui est une nation excluant le droit du sol, voit-elle un courant néofasciste à plus de 22 % des voix ?
Certes, la gauche ne semble guère plus lucide, tétanisée, elle aussi, par le FN. La molle réaction du président François hollande face à l’ignominieuse arrestation d’une collégienne lors d’une sortie scolaire laisse pantois. Mais que dire, pour les rares intellectuels, dont je suis, qui lui furent fidèles dans les pires moments, du silence de Nicolas Sarkozy face à la débandade culturelle de l’UMP ? Et des profondes brisures entre la droite intellectuelle et la droite politique produites par cette unanimité digne des soviets ?
LA NATION CIVIQUE FRANÇAISE
Car ce droit du sol n’est pas négociable. Il porte l’histoire et reste la clef de la cohésion et de la puissance française tout comme celle de la construction d’une identité européenne.
Incroyable révolution portée par ce droit du sol ! Contre la conception de la nation ethnique, fondée sur le sang, qui régnait sur le globe, la France a inventé la nation civique, fondée sur des valeurs, indépendamment de toute origine ethnique.
Révolution qui a ensemencé le monde : Etats-Unis, Canada, Royaume Uni, Irlande, Italie, Portugal, jusqu’en Amérique latine, du Mexique à l’Argentine. Et qui le nourrit encore. L’Allemagne elle-même, qui avait vu naître le nationalisme ethnique radical sous la plume du poète Friedrich von Schiller (1759-1805), a commencé, depuis 2000, à accepter ce droit du sol.
Cette révolution commença avec Clovis (466-511), même si les tribus gauloises admettaient déjà les mélanges ethniques, tels ces Gaulois saliens du sud, mix de Gaulois et de Ligures, ou ces Tarbelli celtes et basques. Clovis va plus loin. Il refuse la coupure entre Francs et Gaulois. Il interdit les mariages claniques, contraignant l’aristocratie à l’hybridation ethnique. Il assoit la France sur les valeurs universelles d’origine judéo-chrétiennes, franques du bien commun, locales des « pays » et le respect des devoirs envers institutions, maîtres et parents.
Lui-même donne l’exemple : il se marie avec Clotilde, burgonde. Et le processus d’hybridation de la lignée mérovingienne est lancé, à l’exception de Clotaire Ier. Francs, Wisigoths, Burgondes, Alamans, Gallo-romains, Armoricains vont se fondre. Ces aristocrates ressemblent à Chilpéric Ier qui épouse la gauloise Frédégonde. Les Carolingiens poursuivent cette entreprise entre Flamands, Alamans, Saxes, inventant le grand récit des « François », devenus plus tard celui de « nos ancêtres les Gaulois », tous « sujets du roi ».
Logiquement, l’édit de Louis X en 1315 indique : « Selon le droit de nature, chacun doit naître franc », donc libre, avec la première interdiction de l’esclavage sur le sol. Charles VIII évoquera bientôt formellement cette nation lors de sa victoire de 1495. Et, en 1515, par un arrêt, le droit du sol fut formalisé : il suffisait de naître et de résider en France pour être libre et égal sujet.
La France, soudée éthiquement, malgré bien des soubresauts, avait construit le premier Etat du monde sur une unité civique. Nation civique réaffirmée par le droit du sol en 1790, lors de la Révolution française.
LA FORCE DE LA VERTU ÉTHIQUE
Et telle fut la clef de la puissance quand le « Vive la nation ! » du général Kellermann, tombé de cheval, qui tenait son chapeau au bout de son sabre, fut repris en chœur par les troupes pluriethniques, ouvrant la victoire de Valmy en 1792 et la porte de la liberté aux populations d’Europe centrale.
Comment s’étonner si le général de Gaulle promulgua, le 10 octobre 1945, un code de la nationalité rétablissant le droit du sol, abolissant les décrets ethniques de Vichy, dont le FN semble nostalgique ? Il n’avait pas oublié la Résistance où combattirent les Français de toutes origines : les racines basques et arméniennes, cévenoles et italiennes, auvergnates et arabo-berbères, juives et chrétiennes, musulmanes et bouddhistes s’étaient mêlées pour assurer la victoire de la France libre et généreuse, unie non par le sang mais par les valeurs.
Mais si la vertu éthique est la force de telles nations civiques, elle est aussi leur talon d’Achille. Le ciment éthique s’acquiert, et cela ne peut se faire sans volonté. Et c’est bien la volonté qui manque dans cette droite désemparée qui ne sait plus où elle va, qui ne sait plus d’où elle vient.
Surveiller les frontières, certes, il le faut. Plus et mieux. Mais si quelques téméraires passent, la France ne changera pas de nature en les accueillant.
A l’inverse, quand les habitants ne partagent plus les valeurs communes, la République se meurt. Les petites incivilités annoncent les grands crimes. La générosité devient elle-même un songe-creux et s’efface devant l’égoïsme. Et le temps arrive où le philosophe meurtri ne peut plus regarder son ancienne nation civique qu’avec nostalgie. Il songe à ce temps où, nourrie aux valeurs universelles et civiques, la France accueillait deux illustres révolutionnaires, l’Américain Thomas Paine (1737-1809) et le Prussien Anacharsis Cloots (1755-1794) qui chantaient La Marseillaise en tant que députés, avant de célébrer le mariage de la République et de Jean Valjean, lequel, pour sauver Cosette, ne se préoccupait pas de savoir si ses papiers étaient en règle.
La responsabilité des élites politiques ? Rétablir les valeurs fondatrices, réinterpréter les symboles et réécrire le grand récit des origines. Par séduction et sanction. Si elles ne le peuvent ? Il leur faut partir. Et si elles restent quand même ? Alors, il faut leur faire quitter un navire sur lequel flotte en majesté l’oriflamme non de la nation ethnique mais de la nation civique.