“Je suis Charlie” : une défaite stratégique pour la France
« Le triomphe des démagogies est passager mais les ruines sont éternelles » disait Charles Péguy. Sans doute, la France meurtrie a-t-elle besoin de rêver d’union nationale. Sans doute encore, les mots « laïcité », « république », « liberté, « fraternité », et bien d’autres, réchauffent-ils le cœur de ceux qui, par générosité, veulent croire en l’effectivité de leurs valeurs. Sans doute enfin, à l’opposé de cet esprit de Munich qui gangrène si souvent les esprits, faut-il saluer une France qui déclare la guerre à la guerre, jusqu’à descendre dans la rue malgré la menace de mort.
Hélas, trois fois hélas, « Je suis Charlie » assure seulement la France d’une défaite certaine, morale, politique et militaire. Et l’histoire retiendra que la cause en fut l’aveuglement démagogique de ses élites. En France, « Je suis Charlie » est possible, voilà le droit à la liberté. Mais la France ne doit pas être Charlie, voilà le point de vue de la responsabilité.
Union nationale avec et autour de« Je suis Charlie » ? Pour aucun esprit lucide, cela ne se peut. 45 000 manifestants à Marseille, 300 000 à Lyon lors des fameuses manifestations dominicales. Les quartiers nord ne sont pas descendus. Une exception ? La règle. Les mondes musulmans, car la pluralité s’impose, ne se sont pas mobilisés. Et certains twitts et comportements en disent plus long que les proclamations lénifiantes et quelques reportages qui tentèrent de masquer la France faillée. Ils ne voulaient pas être Charlie : voilà le fait. Et s’il fallait choisir son camp, certains, écoliers compris, étaient prêts à ne pas choisir le bon : voilà le drame. Suivre le mouvement, en laissant, à gauche comme à droite, se construire l’identification de l’Etat et de Charlie : voilà l’errance.
« Je suis Charlie » exclut les musulmans. Evidemment. Tolérer critiques, caricatures, excès même, l’immense majorité des nés musulmans, dont nombre ne sont guère croyants, y consent. Mais respecter la liberté d’expression, annihile-t-il le droit d’être en opposition avec son contenu ? Face à la représentation de leur prophète, qui, pour nombre d’entre eux, est un blasphème, sont-ils tenus d’applaudir les caricatures, de manifester derrière « je suis Charlie », d’abandonner leur droit naturel à la liberté de croyance ? Fallait-il pousser la démagogie jusqu’à renouer avec le communautarisme en exigeant ou organisant la solidarité des « musulmans de France » derrière « Charlie », ignorant que le sunnisme, majoritaire, n’a aucune centralité ni aucune verticalité, et que les islamistes ne fréquenteront pas plus demain qu’aujourd’hui les mosquées dirigées par des imams « vendus » à la France ?
En cette période d’émotion et de course aux sondages, l’intelligence semble avoir oublié cette leçon de l’histoire de l’humanité : la non reconnaissance de soi est le chemin de la haine. Avec « Je suis Charlie », la voie est ouverte aux islamistes pour recruter les esprits les plus fragiles dans les quartiers « sensibles », prétextant le mépris de la France envers l’Islam.
Plus grave encore. Par cette identification de l’Etat français avec Charlie, le gouvernement socialiste et cette cohorte d’irresponsables de tous bords qui lui a emboîté le pas, a affaibli, voire isolé, les gouvernements musulmans alliés et permis aux terroristes de se présenter comme les défenseurs de la liberté de croyance dans le monde entier. Imagine-t-on le roi du Maroc, Commandeur des Croyants, afficher son soutien à l’Etat de « Je suis Charlie » ? Imagine-t-on les généraux égyptiens qui ont tant de difficultés à tenir leur pays en dehors de la haine, alimenter les forces qui veulent les détruire ? Pour gagner la guerre, du Sahel à l’Irak, via les armes et le renseignement, le France peut-elle se passer du soutien de l’Arabie Saoudite, de la Turquie, du Pakistan et de bien d’autres encore?
Ce qui manque ? A la place des petits calculs démagogiques, une claire vision stratégique. Et d’abord, selon la grande leçon de Démosthène, celle de l’ « ennemi ». Il n’est pas le « barbare », dénomination vague digne d’une pensée plus vague encore, qui désigne une population étrangère, peu développée, qui menace un mode de vie, comme le pensaient les Grecs de l’antiquité. L’ennemi n’est pas non plus l’esprit dictatorial qui viserait notre liberté d’expression.
L’ennemi principal s’appelle « islamisme radical ». Un ennemi qui ne songe pas seulement à persécuter la liberté d’expression mais qui a un projet totalitaire : l’asservissement des populations. Un projet non seulement pour la France mais pour la planète. Et cette claire définition de l’ennemi principal appelle à renvoyer aux jardins d’enfants ceux qui prétendent refuser les alliances nécessaires pour gagner la guerre. allant jusqu’à prétendre combattre Poutine ou nos amis qataris, sous prétexte de liberté d’expression, quand Winston Churchill s’était allié à Staline pour abattre Hitler et Ronald Reagan aux islamistes pour abattre l’URSS.
Plus terrible moralement : cette irresponsabilité des sommets de l’Etat se conjugue avec la pire des dénégations françaises depuis la Libération. Car, il n’est pas vrai que l’assassinat des journalistes et policiers soit du même ordre que celui des quatre Français juifs. Et immoral qu’il puisse être englobé dans un « Je suis Charlie » qui ne hiérarchise pas l’abjection.
Devenir journaliste pour assurer la liberté d’expression et d’information, policier pour préserver la sécurité et le jeu des libertés, caricaturiste jusque dans les joyeux dessins de la provocation libertaire qui est l’un des charmes de la France, tout cela tient à un choix de vie.
Nos concitoyens juifs ont été tués non pour leur dire, leur faire, leurs idées, mais pour leur être, leur apparaître, leur exister. Derrière l’assassinat, le crime contre l’humanité, derrière ce crime, l’ombre de la Shoah. Cette ombre niée par « Je suis Charlie » qui met tout dans le même sac à malices. Et, en persistant dans l’amalgame, se lit la dénégation d’un pouvoir trop influencé par une extrême-gauche prétendue « pro-palestinienne », alimente la haine antisémite depuis des décennies.
Ainsi, est déniée la nature de la menace islamiste à laquelle veut échapper le monde juif, quitte à devoir quitter le pays.
Faute de voir l’ennemi, le chantier de fourmis de la guerre culturelle contre l’islamisme pour ré-enchanter l’univers patriotique ne peut être ouvert.
Les petits calculs sont de retour. Le Premier ministre, croyant marquer des points, pour rassurer sa gauche, n’hésite pas à dénoncer « l’apartheid » organisé contre les immigrés. La France serait-elle l’Afrique du sud de naguère ? Oublie-t-il qu’il gouverne, que son parti a gouverné, et qu’il justifie ainsi en retour les violences qu’il prétend combattre ? Car, s’il y a apartheid, alors faire parler la poudre peut être légitime. Par ce prétendu « apartheid » il ouvre la boîte de Pandore de l’islamisme radical. Hier déjà, pour satisfaire cette extrême-gauche, il avait écarté le Front national au nom de l’héritage « Charlie». Au lieu de conduire ce parti à manifester dans l’union, ruinant la diatribe « anti UMPS », son gouvernement a alimenté la posture d’exclu et de victime du F.N. qui, en retour, fait signe aux exclus sociaux dans un processus de ressemblance-identification-mystification particulièrement fort dans les classes populaires et la jeunesse.
Symptomatiques de cette gouvernance démagogique où plaire est le premier souci et la navigation à vue l’art de la politique : les appels à plus de police, de lois, de contrôle tout comme la prétention pathétique de vouloir enseigner les grandes spiritualités. Si l’Islam est enseigné, pourquoi pas le bouddhisme, l’hindouisme, le confucianisme, le taoïsme, le shintoïsme le luthérianisme, le calvinisme…? Et si guerre il y a, au lieu de mesures sans efficace, ne faut-il pas repenser l’organisation de la sécurité publique, ses relations avec les entreprises privées, développer les partenariats internationaux, renouer les liens au Moyen-Orient, frapper les ennemis à l’intérieur comme à l’extérieur, adopter une législation qui permette de mettre hors d’état de nuire ceux qui nous font la guerre ?
Entre le refus de toute législation patriotique d’un côté, de l’autre, l’absence de réflexion sur les causes profondes qui ont conduit au désarroi moral, la confusion finale est au bout avec l’incapacité de mobiliser les patriotes de toutes origines autour des valeurs universelles de la France, de son mode de vie sucré et de la recherche de sa puissance. La bataille de France ? Il faut la mener, avec tous nos alliés, des Etats-Unis au Japon, tous menacés. Et il faut d’abord la mener en France. Au lieu de « Charlie » qui divise, choisissons Charles de Gaulle. Pour gagner la guerre, il savait la nécessité de construire « l’unité de la France déchirée ».
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