La présomption de culpabilité
par Yves Roucaute
Publié par Valeurs Actuelles sous le titre « Le présomption de culpabilité »
En intégralité ici.
Avec l’arrivée du printemps, à la façon du chiendent, le « salaud » prolifère. Sartre appelait ainsi, dans l’ »Existentialisme est un humanisme », ces humains boursouflés d’eux-mêmes qui piétinent dignité et liberté avec morgue au nom de leur conviction. François Fillon est aujourd’hui leur cible.
Version militante du salaud: jets d’œufs et concert de casseroles pour interdire liberté d’expression et de réunion.
Version journalistique et intellectuelle : insinuations calomnieuses et diffamatoires.
Version politique et juridique : humiliations, mises en examen et fuites.
Pas d’états d’âmes, pas de doutes, pas de regrets. À la façon de Christine Angot, le salaud au « cœur creux et plein d’ordure » (Pascal) dit « J’assume !». Et, pour ma part, partisan du droit naturel à la dignité humaine et à la liberté, « j’assume » de les traiter de « salaud ».
« Il existe en France un usage barbare de punir les coupables, lors même qu’ils ne sont pas encore déclarés » tonne, ce 22 août 1789, à l’Assemblée nationale, Adrien Duport, disciple de Montesquieu, fondateur du Parti des patriotes avec La Fayette, Condorcet et Sieyès. Pour fonder l’Etat de droit républicain, il propose sa condition première, l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : tout homme est « présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». Premier à se lever et à intervenir pour le soutenir : Gérard de Lally-Tollendal. Il sait de quoi il parle: son père, Thomas, emprisonné à la Bastille par lettre de cachet à la suite de rumeurs, lui aussi vilipendé par des salauds, victime d’une enquête à charge, avait été condamné à mort sous le poids de ces ouï-dires, ragots, calomnies. Puis il avait été tué, après 4 ans d’emprisonnement, place de Grève, le 9 mai 1766, au second coup de hache, le premier, raté, ayant seulement fracassé mâchoire et dents.
Plus jamais cela !, proclame l’Assemblée. Hélas !, la corruption morale règne imposée par ceux qui feignent de la combattre. Déjà, avec la Terreur et sa Loi de suspects, les salauds veillaient durant la révoltution: suspects, Adrien Duport et Gérard de Lally-Tollendal fuiront pour échapper à la mort assurée. Aujourd’hui encore, nul « salaud » ne craint d’accuser sans preuve et de violer le Code de procédure pénale qui punit pourtant cette infamie est aisé quand on est du côté du pouvoir. « Retirez-vous monsieur Fillon » exige le Parti socialiste, le 22 mars 2017: « Les Françaises et les Français ne trouvent plus les mots pour décrire la surprise et le dégoût qu’ils ressentent » car « la liste est longue, trop longue, beaucoup trop longue des faits qui vous sont reprochés ». Faits ? Où cela? Aucun. « Selon » le ouï-dire des uns, « selon » les articles des autres dit le communiqué de ces ennemis de l’Etat de droit. « Je pense que François Fillon est le candidat le plus plombé par la corruption que l’on ait connu depuis très longtemps. Je n’ai pas le souvenir d’un candidat aussi marqué par les affaires » renchérit Benoît Hamon qui a le souvenir sélectif, disciple de Mitterrand, ex pote de Jérôme Cahuzac au point d’avoir présenté avec lui ses vœux le 23 janvier 2013. Emmanuel Macron jette aussi sa pierre dans ce jeu de lapidation humaine : « Quand des choses illégales sont faites, il faut aller devant le juge. » « Illégales» vraiment? Peut-être illégales et légales, « en même temps »?
Les « chiens de garde » (Paul Nizan) sont lâchés. Relayés par une certaine presse. « Un peu de décence » proclame l’indécent Maurizio Gribaudi, directeur d’études, dénonçant François Fillon, « qui trouve normal de profiter largement de sa position d’élu». Qui « fait partie de ces hommes politiques qui sont dans une espèce d’habitude de flirter avec l’illégalité » précise Karine Viard, qui ne parvient pas à se dégager de son rôle dans le film « Potiche ». Eric Cantona même devient héros médiatique : après voir traité Henri Michel de « sac à merde », frappé un supporter, insulté des arbitres, voulu interdire les matchs de football en Israël, « Je suggère que nous annulions l’élection quand les candidats se montrent irrespectueux envers la morale et l’éthique ». Et fallait-il saluer Philippe Poutou, incapable de prononcer deux phrases sans les demander à sa voisine, qui s’est senti pousser des ailes d’immonde stalinien pour diffamer, insulter, accuser, condamner sans aucune preuve avec cette morgue de « gros plein d’être » (Sartre) qui dit assez sa misère spirituelle?
Allons, contre cette corruption morale, rappelons que la présomption d’innocence, socle d’un Etat de droit, valeur clef de la République, ne se négocie pas. Hommes de gauche ou de droite ? Ouvrier ou bourgeois? Que m’importe. Défendre la dignité de tout être humain, cela se doit.