Prêtres du Sacré-Coeur de Jesus, P. Jean-Jacques Flammang SCJ (cliquer ici)
A propos du nouveau livre d’Yves Roucaute
Comprendre autrement l’histoire
La puissance d’humanité – Le génie du christianisme
Dans le livre étonnant qu’il vient de publier, Yves Roucaute nous présente une nouvelle histoire de la pensée humaine. Nouvelle – en ce sens qu’elle reprend depuis le néolithique l’ensemble des grands courants de pensée et les fait comprendre en les interprétant à partir d’un principe bien précis: la puissance d’humanité qui est aussi la puissance d’Aimer, le génie du christianisme.
En parcourant l’histoire, Yves Roucaute montre comment s’impose la puissance d’humanité au monde par le refus de la pensée magico-religieuse qui caractérise non seulement de grands pans de la pensée antique, mais aussi une importante partie du politiquement correct de la pensée moderne et contemporaine.
Par puissance d’humanité il faut comprendre ici cette dynamique qui s’oppose au dicton « homo homini lupus » pour faire de l’homme non pas un loup pour l’homme, mais un homme. De cette transformation témoignent de nombreux courants philosophiques et religieux, parmi lesquels le christianisme et l’Eglise catholique occupent une place de tout premier choix.
S’opposant clairement aux courants christianophobes qui attaquent injustement l’Eglise catholique, Yves Roucaute revisite l’histoire de l’humanité avec comme clé de lecture la puissance d’Aimer et il en sort optimiste pour les temps présents, montrant comment aujourd’hui s’effondrent grâce au génie du christianisme les trois idoles de la modernité que sont la Raison, l’Etat et le Marché, toutes les trois abattues par la philosophie d’origine chrétienne qui seule a pu penser dans sa complétude la nature humaine et orienter la liberté vers un œcuménisme de l’universel Aimer.
Parole-vérité et parole-dialogue
En remontant jusqu’au néolithique, Yves Roucaute rencontre partout la pensée magico-religieuse où la Nature se voit sanctifiée, où les humains sont des pions sur l’échiquier de forces souterraines, où certains personnages se voient attribuer la fonction de Vérité qu’ils prétendent recevoir des puissances de la nature qui parle par eux. C’est la vérité-alétheia (dévoilement) qui régit cette pensée : par le Roi de Justice, le Devin, l’Aède, elle dit ce qui est, ce qui a été, ce qui sera, et annonce ainsi déjà les démagogues de la modernité.
Face à cette parole-vérité, il y a aussi dès l’époque mycénienne (1500-1150 avant Jésus-Christ), surtout parmi les guerriers aristocrates, la parole-dialogue qui ouvre la reconnaissance par l’humain de sa véritable puissance : discussion, délibération, choix, action, aussi erreur, car la parole n’est plus alors Vérité, mais recherche de la vérité. On voit même apparaître la générosité quand Achille donne à Nestor la coupe qui devrait lui revenir.
Ayant repéré ces deux courants, Yves Roucaute relit l’histoire de la pensée grecque. Loin d’être en rupture avec la pensée archaïque magico-religieuse, comme on le fait croire en modernité, les présocratiques la développent plutôt en concevant le monde à partir d’un principe-élément dont la vérité se reçoit et ne se cherche pas. Dans un tel univers la liberté humaine et sa créativité n’ont pas de place.
Loin d’être une sorte de Christ avant l’heure, Socrate démontre lui aussi contre les sophistes que la Vérité ne se construit pas, mais se reçoit et qu’il faut obéir au dire de la justice. Il meurt finalement d’avoir voulu opposer au relativisme non la puissance d’humanité, mais la puissance magico-religieuse du vieux monde. Quant à Platon, loin de trouver la créativité et de l’aimer, il accentue plutôt l’intelligence qui renvoie au « savoir » des Rois de justice archaïques et annonce l’intellectualisme volontariste de la terreur des totalitarismes modernes.
Le scepticisme n’est pas non plus une source de véritable humanisme. Il suspend tout jugement, mais l’alpha et l’oméga de cette mise entre parenthèses étant le moi, le scepticisme n’est en définitive qu’un égoïsme intégral qui ignore l’humanité et sa puissance d’Aimer.
Quant au matérialisme, il refait de l’individu un simple membre du grand tout de la préhistoire en réanimant les puissances occultes de la Nature et de l’astrologie. Lucrèce préfère à l’écriture argumentative le poème qui dit à nouveau une parole magico-religieuse refusant l’humanité de l’homme et professant la mort de l’esprit. Le matérialisme, la pire des réactions obscurantistes, fut d’ailleurs fort méprisé dans l’Antiquité à cause de son incohérence. Les horreurs de la modernité trouvent en lui leur prédécesseur.
Et qu’en est-il du discours stoïcien auquel la modernité christianophobe rapporte parfois la découverte de l’universalité de l’homme ? L’idolâtrie de la Raison, qui est aussi celle de la Nature, est le véritable moteur de sa métaphysique, et la nostalgie du monde archaïque sa véritable morale. Et Yves Roucaute de conclure : « Dire la Raison, la Nature ou le Destin, revient à énoncer par des mots différents le même processus qui rend illusoires les avancées de l’humanité depuis le néolithique. Eternel retour contre créativité humaine, enfermement sur soi et refus de la reconnaissance de l’Aimer. »
Les sophistes sont finalement les plus déterminés à rompre avec le monde magico-religieux, mais selon eux, l’individu est réduit à sa volonté de puissance et ne dit le droit que par la force et la ruse. Certes, ils découvrent la créativité de l’homme, mais ils n’entrevoient pas encore l’Aimer comme élément constitutif de l’essence humaine.
Reste le grand Aristote qui est le seul à vraiment éviter l’écueil du scientisme et le retour à la pensée magico-religieuse. A côté de l’intelligence et de la créativité, il voit la liberté de l’homme orientée par la morale, mais ne connaît encore que « le citoyen dans l’humain, non l’humanité de l’humain ».
En conclusion, on peut retenir que la philosophie grecque, encore fortement marquée par la pensée magico-religieuse, s’ouvre pourtant déjà à la parole-dialogue, même si elle ne peut penser l’universel Aimer et que la véritable nature de l’humanité lui échappe encore. Il faut attendre…
Le génie du christianisme de l’Antiquité à la Renaissance
N’en déplaise aux christianophobes politiquement corrects de la modernité, ce n’est qu’avec le christianisme que l’humanité peut délaisser le monde magico-religieux, ses résurgences matérialistes, sa nostalgie platonicienne, son insuffisance aristotélicienne, pour développer dans l’histoire ses exigences de paix d’humanité, de Cité de la compassion, de développement durable.
La venue du Christ et son sacrifice libèrent l’intelligence de l’humanité qui comprend que l’essence humaine est bien la capacité créatrice dirigée par l’Aimer.
Le sacrifice christique exige ainsi la générosité du don sans contre-don envers les nations, et le progrès de l’humanité se mesure alors « non en produit national brut, mais au nombre d’enfants qui vivent une vie d’enfant ».
Passant à ce qu’on appelle depuis le 15e siècle le Moyen-Âge, Yves Roucaute ne trouve rien qui puisse confirmer la légende d’un monde musulman généreux et ouvert, protecteur du savoir et des humanités face aux ténèbres chrétiennes.
La fameuse bibliothèque de Bagdad n’était pas une bibliothèque publique, mais bien la bibliothèque personnelle du calife. Lorsqu’elle fut détruite en 1258, il n’y eut en effet aucun moine érudit ni aucun rabbin pour sauver les livres du bûcher du dogmatisme, tous ayant été tués, réduits en esclavage ou contraints de se convertir à l’islam.
Et Aristote était bien connu en Occident avant les traductions et les commentaires des arabes. La tolérance si vantée d’un Soliman le Magnifique est très relative. Ses exactions contre les autres courants musulmans furent terribles. Il maintient aussi le tribut humain des enfants esclaves et le système juridique qui interdisait à tout juif ou chrétien de se défendre face aux musulmans. En 1523 il a certes relevé les murs de Jérusalem, mais pour la transformer en ville musulmane.
Très décapant est aussi le chapitre sur les lumières du Moyen-Âge. Yves Roucaute y rassemble tout ce que véhicule la fable moderne sur ce temps où de fait les lumières de l’Eglise catholique ont toujours réussi à s’opposer aux obscurantismes renaissant d’une volonté de reprise de la pensée magico-religieuse. Grâce à l’Inquisition l’Eglise exigeait avant le procès une enquête sérieuse et s’opposait ainsi à la vision archaïque de la justice avec ses sacrifices de masse et d’individus qui redeviennent hélas les jeux du matérialisme communiste, fasciste et national-socialiste, après avoir été celui de la Terreur française.
Loin de brimer la recherche médicale et de mépriser les soins du corps, contrairement aux assertions fantasmatiques d’un Michel Foucault, le christianisme médiéval a développé les connaissances pharmaceutiques et les techniques de fabrication des médicaments, il a créé les facultés de médecine avec un vrai corps de professionnels et des établissements de soin. Par contre, il a condamné l’obscurantisme de ceux qui revenaient à la magie pour produire des élixirs de jouvence par exemple.
Dans les condamnations que prononçaient parfois les universités, en particulier la Sorbonne, on ne respectait pas toujours les règles d’une parole-dialogue argumentative orientée vers la vérité. Mais, la plupart du temps, la papauté réagissait et remettait les règles argumentatives en vigueur.
Quant à la méthode expérimentale qui selon la fable des modernes aurait été leur invention, elle existait bien avant, dès l’Antiquité, et fut transmise et richement développée au Moyen-Âge. Malgré les moulins et les cathédrales, malgré l’industrialisation et les découvertes qui permettent les grandes explorations maritimes, la fable moderne n’en démord pas : avant Copernic, il n’y aurait que ténèbres. Après, contre l’Eglise, commencerait la lumière.
Les faits rappelés montrent qu’on est loin des Alexandre Koyré, Gaston Bachelard, Louis Althusser et tant d’autres qui inventent, à la suite de Kant et de sa « révolution copernicienne », ruptures ou coupures épistémologiques. Pour Yves Roucaute, il n’y a aucune révolution copernicienne. Exemples à l’appui, il montre que ni la mathématisation du réel, ni l’expérimentation ne fut l’invention des temps modernes, mais bien celle du Moyen-Âge. C’est aussi au Moyen-Âge que pour la première fois la Cité de la compassion, la paix d’humanité et la concorde autour du développement durable deviennent des objectifs atteignables.
Grâce à l’initiative du pape commencent des échanges interhumains, culturels et économiques pour la meilleure compréhension et la paix entre les populations. La rencontre avec l’Asie par exemple. Dans l’ouvrage de Marco Polo, salué par le pape, on trouve cette conjonction de curiosité savante, flattée par l’éducation chrétienne, et de croyance en une commune humanité. L’ouverture de l’Eglise à l’Asie a permis l’intégration des savoirs découverts au patrimoine chrétien, de l’algèbre indienne à la boussole chinoise.
D’un autre côté, le projet maritime d’un Christophe Colomb fut soutenu par l’Eglise, et dans sa lutte contre les premiers surgissements du scientisme moderne qui veut des preuves, un modèle mathématique rigoureux, une cartographie claire, une vision quantitative et un business plan, ce sont les moines franciscains acquis à la méthode expérimentale et au tâtonnement scientifique qui soutiennent celui qui nomme son navire Santa Maria.
Et Yves Roucaute de conclure cette première partie intitulée « De la découverte de la puissance aux lumières du Moyen Âge » : Malheureusement, la modernité envahissait peu à peu les esprits. L’intelligence créatrice devient serve de la politique de puissance et du marché. Au lieu de la compassion et de la concorde voulue par l’Eglise du Moyen Âge, le mercantilisme moderne traquait les humains transformés en moyens de production en Europe et en esclaves dans les colonies. L’humain se perdait dans le pratico-inerte, les idolâtres de la Raison, de l’Etat et du Marché surgissaient et le Roi de justice réclamait à nouveau ses sacrifices. C’est la fin du Moyen Âge et le début de la modernité.
Contre les idoles modernes, l’art d’aimer
Une deuxième partie de l’ouvrage montre comment la modernité et ses idoles – la Raison, l’Etat et le Marché – sont heureusement en train d’être dépassées de nos jours par la puissance d’humanité.
Dans la Renaissance Yves Roucaute découvre l’esprit chrétien auquel s’opposera la Raison idolâtre de Descartes, Kant et d’Alembert. Contre l’obscurantisme des fausses lumières d’un Voltaire et du romantisme d’un Rousseau, au-delà des droits individuels du libéralisme, se fait l’avancée des Droits de l’homme telle que l’Eglise catholique les formule en rapport avec sa conception de la nature de l’homme. C’est aussi cette pensée chrétienne qui s’oppose aux mercantilistes et abolit l’esclavage et le colonialisme. C’est encore la puissance d’humanité, propagée par le christianisme, qui sauve Dreyfus en affrontant le paganisme et l’idéologie antisémite de la gauche révolutionnaire. Cette puissance d’humanité abat également les totalitarismes athées et préfère gagner la paix que la guerre. Contre l’impasse utilitariste et le culte mercantiliste, libéral et libertarien du Marché, la puissance d’humanité dévoile la Cité de la compassion et propose contre les « post-modernes » la paix d’humanité par le développement durable.
Tout cela, Yves Roucaute le développe, arguments, faits et exemples à l’appui, lui qui dit de lui-même : « Je ne suis pas catholique, mais qu’y puis-je si, à chaque découverte de l’intelligence, cette Eglise apparaît plus admirable encore ? Faudrait-il avoir honte d’une spiritualité qui célèbre sans laxisme depuis des siècles la puissance d’aimer au nom de la puissance d’humanité ? La mode n’est pas de mon côté, le politiquement correct moins encore, seulement la recherche de la vérité. »
Au lecteur de se faire lui-même une idée de ce livre étonnant qui écrit dans un style alerte et provocateur une autre histoire de l’humanité, montrant l’avènement de l’universel Aimer par le génie du christianisme dont le monde aura sans aucun doute besoin pour survivre.
P. Jean-Jacques Flammang SCJ