Entretien sur l’inégale valeur des civilisations

 

Roucaute chez les inuits Photo d’Yves Roucaute chez les Inuits, été  2011

Entretien avec Marc Cohen, pour Causeur, 16/10/2013 : Comment avez-vous pris connaissance de « l’affaire » ? 

De façon assez drôle. Ce mardi 7 février, j’avais exceptionnellement quitté mon bureau de la    place Beauvau, au cabinet de Claude Guéant, assez tôt, en fin d’après midi. J’avais pris ma voiture plutôt que celle du cabinet pour aller à une réunion discrète, je n’ai pas dit secrète (sourire). Les téléphones étaient éteints. Quand je suis sorti, j’ai constaté qu’il y avait eu beaucoup d’appels en absence et immédiatement le téléphone a sonné. J’ai répondu. Il s’agissait d’un journaliste que je connais et qui me dit tout de go  « Salut Yves, tu pourrais répondre au téléphone quand tu mets le b. dans le pays et me prévenir en premier. » J’ai cru à une plaisanterie sur le livre, Eloge du mode de vie à la française, que je venais d’écrire et de lui envoyer, dédicacé à la mémoire des Arméniens morts pour la France. Je lui ai donc répondu « Je vois que tu es encore la victime consentante du lobby anti croissant et anti arménien du Monde (…) ».  Il rit et comprit que je n’étais pas informé de ce qui s’était produit l’après midi à propos du discours que j’avais écrit, prononcé par Claude Guéant le 4 février devant le syndicat étudiant l’U.N.I. Il me raconta l‘accusation ubuesque de nazisme par un cancre, nommé Serge Letchimy, et le départ non moins ubuesque des députés de l’UMP de l’Assemblée nationale.

Comment savait-il que vous étiez l’auteur du discours ?

A vrai dire, il n’était pas le seul à le savoir. Je ne sais d’ailleurs pas si c’est « Le Monde », « Le Figaro » ou l’AFP qui a donné cette info le premier. J’ai même été contacté par la chaine du Sénat. C’était un secret de polichinelle. D’abord les journalistes qui suivaient Claude Guéant savaient que j’étais entré dans le cabinet pour les discours stratégiques. Et ce discours avait donné lieu à des discussions préalables entre les dirigeants de l’U.N.I. et moi. Donc, beaucoup de monde savait. Bien entendu, il arrivait à Claude Guéant, qui a une forte personnalité et une grande intelligence, de faire des digressions, de rajouter ou d’enlever des phrases, mais pas sur les discours écrits donnés à la presse. Il est vrai que j’ai appris plus tard que ce discours n’avait pas été donné à la presse sous la curieuse pression de François Fillon (rires). Et puis, cette phrase est tirée de mon livre publié au même moment. Il suffit d’ouvrir mon dernier livre page 21 : « les civilisations ne se valent pas ; Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient ; Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique ; le respect de la dignité humaine ne se négocie pas ». Cette phrase était d’ailleurs déjà dans un livre que j’ai publié, il y a une dizaine d’années. Pourquoi aurais-je nié ? C’est absurde. Les journalistes enquêtent, savent lire et détestent, à juste titre, qu’on leur mente.

Avez-vous été surpris par la polémique, où l’aviez-vous senti venir en écrivant le discours ?.

Ce fut incroyable, le vice appuyé sur le bras de la bêtise conduisait à une crise politique sans précédent. J’ai vu émerger une haine incroyable.

Certes, dans les rangs socialistes même, chacun s’accorde  sur l’inculture du pauvre Serge Letchimy, qui lança sa dénonciation de nazisme à l’encontre de Claude Guéant et de toute la droite républicaine.  On connaît les lumières de cet élu qui se dit « fils d’esclave », sachant que l’esclavage a été définitivement aboli en 1848 et que lui-même est né en 1953 : non seulement il a découvert la formule cachée du nazisme chez tous ses opposants qui dénoncent les atteintes aux droits humains par certaines civilisations mais aussi celle de la fontaine de jouvence. Et le pauvre ère ignore même que l’esclavage a été aboli sur la terre de France dés le Moyen-Âge et que son abolition dans les îles au XIXème siècle ne doit rien à la gauche.

Mais ce fut évidemment une décision politique du groupe socialiste. Clairement, les socialistes lancèrent cette crise par pur cynisme, tentant de sauver les meubles et croyant ainsi pouvoir coller l’accusation de collusion du F.N. avec l’U.M.P. pour effrayer le centre. Comme ils le font souvent. Ils eurent tort. ils ont entraîné une grande haine contre la droite républicaine dans leurs rangs, haine qui, à moyen terme rendra difficile la possibilité dun Front républicain face au F.N. Car à force d’insulter et de jeter l’anathème sur les républicains de droite, je ne vois guère comment on peut justifier ensuite une quelconque alliance.  D’autre part, comment pourra-t-on empêcher électeurs de droite et du centre, et de gauche même par capillarité, à voter F.N.?  Si l’UMP c’est comme le FN, alors le F.N. c’est forcément comme l’UMP. Par calcul à courte vue, faute d’intelligents politique, pur un plat de lentilles électorales, la gauche dédiabolise le F.N. chaque jour. Et elle lui ouvre le chemin du pouvoir.

C’était sinon un piège tendu aux socialistes. Mais ce n’était pas le premier et ce discours n’était pas le plus provocateur de ceux que j’avais écrit, loin de là. Je ne pensais donc pas que ce piège fonctionnerait à merveille. Je ne pensais pas non plus que le personnel politique de la droite républicaine était à ce point pleutre qu’il aurait peur de la tactique de Matamore d’une gauche en débandade qui hurlait d’autant plus que la plupart des députés socialistes étaient d’accord avec moi. Tout cela tourna rapidement en farce drôle et pitoyable.

Nicolas Sarkozy pensa d’ailleurs, à juste titre, que c’était la première victoire depuis son élection à la présidentielle. Mais, comme souvent,  il fut bien seul. François Fillon, malheureusement, n’eut pas ce sens politique. Sans doute est-ce l’un des multiples symptômes que nous avons un recrutement du personnel politique de droite qu’il faudrait revoir.

Et si ce fut une victoire écrasante, elle fut donc très momentanée. Les sondages nous furent pourtant immédiatement clairement favorables à plus de 70%. .

Notre victoire idéologique était donc sans appel et d’une importance stratégique car elle renvoyait le P.S. au relativisme moral et à l’incapacité d’agir en pleine période de crise où les gens ont besoin d’un capitaine et de repères culturels. D’autant que François Hollande, qui n’avait pas compris la manœuvre, refusa de désavouer celui qui était appelé par certains députés UMP « le cadeau de Martinique », d’autres plus méchants, disaient « le cancre de Martinique ».

Et qui, dans le  pays, pouvait en effet croire que toutes les civilisations se valent ? Qui pouvait même croire qu’elles n’existent pas comme bientôt ce fut l’élément de langage dominant du P.S. , avant la débandade de l’UMP ? Certainement pas les socialistes qui avaient jadis, alliés aux radicaux, profiter de ce fait pour justifier l’injustifiable, les grandes colonisations sous la IIIème République que le fameux députés martiniquais semble ignorer. Sans même évoquer leur gestion déplorable de l’Afrique du nord, sous la IVème république.

Le plus intéressant pour nous, à mon sens, car j’étais là pour mener cette bataille idéologique comme le font aux Etats-Unis au sein du parti républicain mes amis néoconservateurs, était que les socialistes se coupaient de la plus grande partie du monde intellectuel. Car la conséquence de cette position idéologique conduisait à soutenir des propositions absurdes, comme c’est toujours le cas lorsque l’idéologie est poussée au bout.

Si parler de civilisations était la marque du nazisme, alors tous les universitaires se trouvaient plus ou moins nazis, tous ceux qui travaillaient dans les départements d’étude des civilisations dans les universités du monde, ceux qui avaient apprécié le grand historien français Fernand Braudel et sa Grammaire des civilisations, ceux qui travaillaient sur les civilisations passées.

Le P.S. s’isolait de sa force de frappe culturelle.

Allez donc expliquer que tout se vaut à ceux qui travaillent sur les Incas, dont la civilisation pratiquait les sacrifices de masse les jours de fêtes et préférait brûler vif, étrangler ou enterrer vivants les enfants ? Ou à ceux qui travaillent sur les Aztèques, cannibales qui pratiquaient des sacrifices quotidiens, le cœur des suppliciés étant arraché pour assurer le lever du soleil et les enfants particulièrement recherchés pour être noyés afin d’appeler les pluies ? Aller expliquer cela à ceux qui travaillent sur la civilisation maya : tous les matins devait dégouliner assez de sang le long des pyramides pour qu’il nourrisse la terre et les enfants périssaient sous de savantes tortures car ils croyaient que leurs larmes amenaient les pluies.

Tous les chercheurs, plutôt à gauche, savent la supériorité des civilisations fondées ou refondées sur les droits et devoirs de l’humanité contre cet esprit sacrificiel et ce goût pour la mise en esclavage, les pillages, les massacres et les rites mutilants largement répandus dans le monde, à partir des âges des métaux, de la civilisation maori de Nouvelle-Zélande à celle des Iroquois. Pas un historien sérieux, eux aussi majoritairement à gauche, n’ignore la civilisation romaine qui pratiquait l’esclavage et les jeux du cirque où la population criait « jugurta » (égorge) un gâteau au miel dans la main.

Et aujourd’hui, quel anthropologue ou sociologue peut juger que les civilisations du Mali à la corne d’Afrique qui infibulent entre 100 et 140 millions de femmes valent les civilisations qui l’interdisent ? De la civilisation japonaise aujourd’hui à la civilisation nord-américaine, les civilisations fondées sur l’interdiction du sacrifice et le respect du droit naturel de l’humanité, valent assurément mieux que celles qui s’y opposent, tel est le credo le plus répandu chez les intellectuels.

Le plus drôle dans cet étalage d’ignorance de nos élites politiques issus d’une haute administration la plupart du temps dénuée de culture, car les socialistes ne furent pas les seuls en cause quand on songe à la tournure prise par cette affaire, c’est que si toutes les civilisations se valent pourquoi fallait-il s’opposer au nazisme qui prétendait justement proposer une nouvelle civilisation, celle du IIIème Reich ? Je sais pourquoi mon père a pris les armes contre le nazisme et je sais aussi pourquoi les ancêtres relativistes de Serge Letchimy n’ont pas trouvé que la défense d’une civilisation qui défend les droits et devoirs humains contre un projet de civilisation qui les nie, valait la peine de risquer sa vie, ni même sa carrière. Serge Letchimy avait au fond retrouvé naturellement le réflexe de ceux qui collaborèrent avec le nazisme comme de ceux qui acceptèrent de collaborer avec le colonialisme le plus abject comme on le vit lorsque la gauche française robespierriste avait rétabli l’esclavage à Saint Domingue en 1801 : si tout se vaut, alors pourquoi risquer sa vie?

En vérité, je crois, pour ma part, que précisément ces civilisations inférieures sont condamnées par l’Histoire. C’est pourquoi elles disparaissent et c »est très bien. Nous allons vers la convergence des civilisations entrainée par les grandes spiritualisés qui l’ont emporté et qui ont mis au coeur de leurs valeurs l’amour du prochain comme je crois avoir commencé à le démontrer dans mon livre « Vers la Paix des Civilisations ».

A mon grand étonnement, sur un piège si simple à éviter, le P.S. qui venait de perdre une bataille idéologique majeure en révélant sa véritable nature : non pas le parti des opprimés, des minorités ou des faibles, encore moins celui de ceux qui croient aux valeurs universelles d’origine judéo-chrétiennes, mais celui des sommets de la bureaucratie française qui veut le pouvoir pour le pouvoir et gouverne avec cynisme sans se préoccuper des valeurs au point de juger que tout se vaut si une carrière est possible.

Bref, nous avions gagné Austerlitz, il suffisait de planter notre drapeau. Mais, le plus croquignolesque c’est qu’au lieu de cela,  l’armée des vainqueurs a été reconduite par certains de ses chefs dans ses casemates, la tête basse.

Tes détracteurs vous ont-il demandé votre avis avant de pourrir par voie de presse?

Tout est allé très vite. Car après l’incroyable erreur stratégique du P.S. on assista à une plus incroyable débâcle de l’UMP. Imaginez un mascaret d’équinoxe imprévu qui déboule en quelques heures sur un fleuve puissant ! Je fus pris dans ce reflux dans les heures qui suivirent.

Claude Guéant, qui a un sens de l’Etat indéniable et une fidélité remarquable en ses engagements, à la demande de François Fillon qui paniquait devant le flux médiatique de gauche, me demanda de ne pas intervenir publiquement alors que je me dirigeais vers le seul média qui demandait alors des éclaircissements, la courageuse chaine du Sénat. À la place, je fus chargé d’écrire une réponse de Claude Guéant qui serait rendue publique. J’ai trouvé l’idée très bonne et j’ai immédiatement négocié avec un quotidien, qui accepta la proposition. Je déclinais donc finalement l’invitation d’aller m’expliquer sur la chaine de télévision, ignorant encore l’ampleur de l’incroyable débandade idéologique à droite.

Je n’étais d’ailleurs pas le seul à l’ignorer. C’est un autre côté amusant de cette affaire.  Chez certains intellectuels, le premier mouvement a été plutôt une course à qui s’approprierait mon texte. Même mon ami André Comte-Sponville, qui était déjà avec moi quand je dirigeais l’Union des Etudiants Communistes de la Sorbonne, a voulu sans doute être plus près encore de moi et a écrit qu’il était peut-être l’auteur de la formule. Et Luc Ferry, que j’apprécie beaucoup aussi, a renchéri en envoyant un communiqué à l’AFP. Cela n’a pas duré longtemps (rires).

Tous sans te citer alors que c’était devenu de notoriété publique?

Tous sans me citer, bien sûr. Je passe sur quelques autres intellectuels. Puis, soudain, ce fut le silence. La vague scélérate, ainsi que disent les marins, était arrivée.

Une partie de la presse, des blogs et des réseaux sociaux influencés par le P.S., envoya immédiatement l’artillerie contre Claude Guéant et moi pour prétendre que ce parti était dans son bon droit de nous traiter de nazis. Ce qui n’était pas étonnant même si je trouve peu déontologique d’attaquer des gens sans leur offrir la  possibilité de répondre, et, trop libéral peut-être, je n’aime pas les procès à la presse. Mais, du côté de la presse neutre et de celle qui était plutôt favorable à nos idées, la débandade de l’UMP alors qu’elle venait de gagner la bataille rendait tout illisible. Entre les consignes des uns et l’incompréhension des autres, le silence régna sur l’une et l’autre colonne.

Les choses s’éclaircirent pour moi rapidement : j’avais écrit l’article dans la nuit pour Claude Guéant mais celui-ci m’indiqua trois jours plus tard qu’il avait reçu la consigne de ne pas le publier. Claude Guéant, qui avait donné sa parole de toujours respecter les décisions du Premier ministre, et qui a un grand de l’honneur et du respect de la hiérarchie, n’a pas voulu passer outre à cette volonté du Premier ministre. Ce que je comprends car sans honneur  que valons-nous?

Je me retournais vers l’Elysée. L’Elysée me félicita une fois encore et tenta de me convaincre de rester dans le cabinet Guéant. J’ai obtenu des promesses, d’ailleurs non tenues pour la plupart (rire), mais je m’y attendais, et j’ai accepté pour poursuivre le plus important : cette bataille des idées en conjonction avec mes amis, élus et non élus. Ce qui me conduisit à écrire d’autres textes stratégiques pour Claude Guéant, et pas seulement (sourire), et à développer le cercle d’intellectuels créé pour aider Nicolas Sarkozy, dont le secret a été en partie éventé par la presse.

 

Quid de la défense de Guéant. Et de celle de l’UMP ?

La défense de l’UMP a été calamiteuse. Austerlitz a été gagné et on a oublié de planter le drapeau… L’UMP souffre, plus que le PS, d’une absence remarquable de pensée structurée. Cette affaire en a montré l’ampleur. Où sont les Reagan, les Thatcher, les Merkel ?  Il ne faut pas les chercher, il n’y en a pas. Seul Nicolas Sarkozy, homme d’intuitions mais non de concept, a la volonté qui aurait permis d’afficher la victoire. Mais il est malheureusement un peu seul sur ce sommets désertés par la pensée et cette solitude ne lui permet pas de mener à bien toutes les batailles, y compris celle de la présidentielle.

Une des raisons de la débandade, c’est que la plupart des dirigeants sont en effet incapables de défendre une position juste car ils sont eux mêmes relativistes ou dénués de culture fondamentale. Et ceux qui pourraient intervenir sont empêchés par ceux qui ne le peuvent pas. C’est la prime au premier de la classe en droit public, à condition d’être dernier en culture générale et dénué de toute imagination avec ce zeste de suffisance qui tient au classement de l’E.N.A.

Il suffit de lire les réactions. L’énarque Juppé proclame le propos de Guéant « inadéquat », le diplômé de droit public François Fillon indique qu’il n’aurait certes jamais prononcé des telles phrases, la débandade fut quasi générale, jusqu’à mon ami Jean-Pierre Raffarin lui-même, sans doute pour régler un vieux contentieux avec Guéant, qui avait feint de croire que les civilisations n’existent pas.

Certes, dans cette réaction, il y a souvent une part de calcul politique. La droite ce n’est pas une meute mais dix meutes. Alain Juppé savait que la victoire de Nicolas Sarkozy signait la fin de ses espoirs d’être à nouveau un jour Premier ministre puis Président. François Fillon,  qui avait trainé les pieds sur maintes réformes, savait qu’une victoire de Nicolas Sarkozy signifiait la même fin de ses ambitions. La suite démontra qu’il convient de se garder de ses « amis «  et à cet égard. Claude Guéant aurait peut-être pu négocier pour obtenir un feu vert et foncer au lieu de se laisser malmener. Il aurait été applaudi après coup. Et il aurait gagné sa députation en se donnant une image qui n’était pas celle, extrémiste, qui fut imposée par la gauche dans une circonscription où le centre est si puissant, une image qui ne correspond en rien à ce qu’il est car il est profondément gaulliste et d’un gaullisme plutôt centriste.  Mais, une fois encore, je condamne rarement ceux qui sont fidèles à leur parole quand les hautes valeurs morales ne sont pas en cause.

Mais, ce qui joua plus encore pour tous ce fut la conjugaison de la peur de la gauche avec l’ignorance et l’origine sociale de cette élite. Car aucune autre droite dans les pays développés n’a un tel mépris des intellectuels et ne recrute la majeure partie de son haut personnel politique dans les cercles de la bureaucratie.

Avec cet effet pervers : les relations avec la gauche bureaucratique deviennent ambigües et les seuls intellectuels mis en valeur par la presse étant les intellectuels de gauche, lorsque la droite veut une légitimation idéologique, ce qui est toujours une nécessité, elle se tourne logiquement vers eux. D’où l’importance accordée aux Edgard Morin et Bernard-Henry Lévy dont les qualités ne sont pas en cause mais comment pourraient-ils offrir une vision d’avenir à la droite alors qu’ils se sentent de gauche ? Même si pour ma part, aussi bien proche de Tony Blair que de G.W.Bush, je trouve ces catégories bien désuètes et presque infantiles.

D’où, en tout cas, pour cette droite, l’incapacité à gagner les batailles idéologiques les plus faciles, comme sur cette question des valeurs. D’où l’apparence de lâcheté de certains dirigeants qui préfèrent leur carrière au pays et craignent moins de ne pas obéir aux valeurs qu’ils ignorent, qu’aux réflexes de prudence bureaucratique. Ne pas penser à un prix. Nicolas Sarkozy saura-t-il en tirer les leçons ? Cette affaire l’a encore démontré : la défaite de la pensée prépare toujours la défaite politique. Et si Nicolas veut revenir, et si, en admettant qu’il le puisse, il veut laisser une marque dans l’histoire, il lui faudra s’entourer de gens qui ont une vision de la France et du monde à l’heure de l’Internet 3, de la mondialisation et de la Puissance d’humanité. Ce n’est pas gagné (rires).

 Comment expliquez-vous que certains passages plus raides du discours que celui dont tout le monde a parlé, n’aient pas été mis en cause par les médias ! ( « La maison de France n’est pas une maison de tolérance » p.4) ou sur l’historiographie disons rapide du fascisme et du nazisme , tous deux déclarés enfants naturels du socialo-communisme?

Oui, j’ai déjà tenté de démontrer dans un autre ouvrage que je suis en train de republier, que les origines du fascisme se trouvent bien à gauche.

Créé par le socialiste Mussolini, qui dirigeait la gauche du Parti socialiste italien et était majoritaire dans le parti, le mouvement fasciste a entrainé l’ensemble des dirigeants des syndicats ouvriers, de l’industrie et de l’agriculture. Il y a un dialogue très intéressant entre Mussolini et le dirigeant communiste Antonio Gramsci à l’assemblée nationale qui éclaire le processus. Et le premier programme du parti fasciste, élaboré d’ailleurs avec une envoyée de Lénine, est conforme aux canons socialistes. La formule en exergue de son journal « Il Populo d’Italia » est d’ailleurs de Blanqui. L’opposition avec les communistes tient au fait que les fascistes italiens reprochent aux communistes de ne pas voir l’intérêt de la classe ouvrière italienne mais celui de Moscou. Et aux socialistes : ne pas vouloir vraiment la révolution nationale et socialiste.

Ce processus est identique dans tous les pays du monde européen, sans exception. Ce sont des dirigeants de gauche qui créent les partis fascistes et nationaux-socialistes (nazi). Le parti national socialiste allemand d’Hitler, né du Parti des Travailleurs Allemands,  de l’extrême-gauche, n’échappe pas à la règle dans sa formation et son programme de nationalisations et d’étatisations, jusque dans le plan de 4 ans de Goering, dont Goering, et il s’est réclamé du léninisme jusqu’à la fin des années 20, dit lui-mêmeu’il est influencé par la planification de Staline. En France même, le communiste, député maire de Saint Denis, Doriot, crée un puissant parti nazi, et le député socialiste Déat, un parti fasciste. Et ils font les mêmes reproches aux communistes : être inféodés à Moscou. Et le même reproche aux socialistes : ne pas vouloir vraiment la révolution nationale et socialiste.

Il faut s’appeler Serge Letchimy pour fendre de l’ignorer. Et d’ailleurs, une des caractéristiques de ces partis a toujours été, comme Serge Letchimy, d’insulter et de diffamer les adversaires, et d’appeler la haine sur eux au nom du prolétariat et des opprimés. Leur style violent dit leur fond. Y compris contre les juifs : l’antisémitisme nazi est en effet un antisémitisme de gauche. Alors que celui de droite part du sol et conduit souvent à l’expulsion et aux expropriations, celui de gauche dénonce dans le juif « le gros », « le riche », l’exploiteur et conduit à l’extermination totale sous prétexte de détruire totalement la bourgeoisie et les valeurs juives responsables de l’exploitation. Cela se voit chez les blanquistes qui inventent l’idée d’une race aryenne contre les juifs, dans leur journal « Candide » et leurs écrits qui seront repris par leurs disciples. Serge Letchimy, par son style violent, est plus proche de ces mouvements qu’il ne le croit.

Mais j’arrête là car je me suis longuement expliqué dans dseux ouvrage La République contre la Démocratie et  Les Démagogues sur cette histoire de la naissance et du développement du fascisme ainsi que sur le léninisme et le stalinisme.

Pourquoi dans ce discours, n’allez-vous pas au bout de votre pensée sur la France? Il suffit de feuilleter votre « Eloge du mode de vie à la française » pour voir que vous pensez que notre modèle est supérieur, non seulement aux aberrations du tiers-Monde, mais aussi, au modèle US ou allemand : les Gaulois, l’assimilation, le jambon beurre ( !!!!!) et même le café théâtre…

Je pense que la France dispose d’un modèle d’identité nationale qui est celui qui porte l‘avenir de l’humanité : une nation fondée non sur le sang mais sur l’appartenance à une société fondée autour des valeurs et habitant sur un lieu. Cette révolution qui a commencé avec Clovis est en effet pour moi la marque d’une avancée de l’humanité vers son destin : reconnaître en elle sa commune humanité. C’est pourquoi je suis fermement opposé à l’abandon du droit du sol que propose François Fillon.  Et c’est pour moi un casus belli.

En ce sens, sur ce point, je dis clairement que le modèle français est supérieur à tous les autres, à l’exception de ceux qui l’adoptent.

Mais je ne pense pas que notre modèle soit supérieur à celui des autres démocraties sur tous les points. Ainsi, en matière de civilité, je pense que le modèle japonais est plus avancé même si sur la place des femmes il est en retard. Je pense que le modèle des Etats-Unis est plus avancé en termes de libertés du corps,  de protection de la propriété et de liberté de la presse, mais moins en termes de protection des déshérités faute d’avoir pensé l’Etat compassionnel.

En fait, à la différence des relativistes, j’ai des critères que je crois clairs et une pensée structurée autour de valeurs et indications léguées par la grande tradition judéo-chrétienne.

L’ennemi idéologique est très clairement identifié : ce sont les trois idolâtries de la modernité : celle de l’Etat, de la Science et du Marché. A partir de ce qui va dans le sens de l’humanité de l’homme, dont j’ai posé les critères dans La Puissance de la Liberté puis La Puissance d’humanité, se dégagent des lignes d’orientation qui permettent de juger la valeur d’une civilisation et son état d’avancement vers l’amour universel des humains.

Or, la France, quand elle est fidèle à elle-même, quand des chefs éclairés la conduisent, a cet avantage sur les autres Cités : elle est vaccinée contre les trois idolâtries. Encore faudrait-il qu’elle secoue sa bureaucratie et retrouve sa joie d’être elle-même.

Quel intérêt de faire de la politique si on rêve pas de devenir conseiller général ou président de la République? Surtout à droite compte tenu de leur détestation quasi-unanime de la réflexion idéologique

La politique est un devoir quand bien même la scène politique est occupée par des ignorants, ce qui, depuis la démocratie athénienne n’est quand même pas un phénomène totalement nouveau (rire). Ma première thèse portait sur Aristote. Et je tiens de cette passion de jeunesse pour Aristote que tout citoyen a le devoir de s’intéresser à la politique. Or, il n’est pas possible de s’y intéresser à partir de grands modèles dans son bureau car, contrairement à ce que pensent certains universitaires, celle-ci n’est pas une science mais un art. Et cet art est un grand art, qui appelle la morale et la métaphysique sur un espace délimité avec d’autres humains. Quand bien même cette cité est gouvernée par des ignorants, chacun doit donc participer en tâtonnant, en se trompant car la privation de connaissances est dans notre nature, en dialoguant dans le respect mutuel afin de trouver le meilleur possible pour la cité. Exactement le contraire de ce qui s’est passé lors de cette polémique sur les civilisations mais ce contraire ne ruine pas la nécessité de continuer car l’ignorance est contingente, le devoir de participer nécessaire.

Le rôle d’élu est d’une autre nature. Il n’est pas une nécessité. Il appelle des responsabilités, donc des devoirs plus que des droits, même si certains élus semblent l’oublier. Il appelle ceux qui préfèrent leur Cité à leur carrière et à leur pécule. Tout juste puis je suggérer qu’il nous faut un Président et une équipe soudée autour de valeurs fermes et d’un projet  audacieux qui bousculent les conservatismes pour redonner à la France sa place. Je crois que c’est plutôt là mon rôle, celui de philosophe conseillant ses amis depuis quelques années. Ce sera ma suggestion à ceux qui ont quelque ambition légitime dans l’UMP ou ailleurs.

Entretien de Marc Cohen avec Yves Roucaute, publié le 16 octobre 2013 dans Causeur

 

 

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