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Autriche : la cécité française

Autriche : la cécité française

Par Yves Roucaute

Paru dans Valeurs Actuelles. Décembre 2016

Alexander Van der Bellen l’a emporté aux élections présidentielles autrichiennes. Faut-il saluer la victoire d’un écologiste « indépendant », de l’Europe, de la démocratie même ? Et se réjouir de la défaite de Norbert Höfer, « extrême-droite », danger pour la liberté, menace pour l’Europe, preuve que l’Autriche n’aurait pas vaincu ses vieux démons nazis ? Brrr, j’ai eu peur, passe moi une part de strudel…

Si l’on devait retenir quelques leçons de cette élection autrichienne c’est d’abord l’incroyable courtoisie des opposants dans un pays où le bien-vivre passe par le respect mutuel et les règles exquises de politesse. Les candidats se sont opposés férocement lors d’un seul débat télévisé : une férocité à l’ « autrichienne » qui prêterait à sourire en France et outre-Atlantique. Et Norbert Höfer, au bord des larmes, a évidemment félicité son adversaire pour sa victoire.

C’est ensuite la force morale de cette démocratie autrichienne si respectueuse du droit que le second tour des élections fut annulé pour quelques votations douteuses, puis reporté pour cause d’une colle défectueuse sur quelques enveloppes susceptible de ne pas assurer l’anonymat. Au pays du grand juriste Hans Kelsen, chacun a le droit chevillé au corps.

C’est encore le large consensus. Il faut être un idéologue pour ignorer que Norbert Höfer n’a jamais remis en cause l’euro ni l’appartenance à l’Union Européenne. Un référendum ? Seulement au cas où la Turquie entrerait dans l’Union. Idée partagée par la droite européenne. Quant à l’immigration, où est l’ »extrême » ? Nos salonnards ignorent-ils que l’Autriche, gouvernée pendant des lustres par des socialistes, vit sous le droit du sang, jamais remis en cause, et que la fermeture des frontières est une décision du gouvernement de Christan Kern, social-démocrate soutenu par la coalition de droite et gauche ?

Je connais cette idée d’une Autriche presque par nature « nazie » : elle a quelque chose d’abject. Si le parti nazi soutenu par l’Allemagne avait été si influent avant guerre, pourquoi aurait-il organisé un coup d’Etat avant le référendum sur l’indépendance de l’Autriche, prévu le 13 mars 1938 par le chancelier Kurt Schuschnigg, qui sera envoyé à Dachau ? Pourquoi ces persécutions, ces assassinats depuis le chancelier Dolfuss jusqu’aux dirigeants chrétiens? Oui, l’Autriche a vécu sous le joug nazi les pires offenses. Et sa partie orientale, Basse Autriche et Burgenland, a vécu à la « libération » sous un autre joug, celui de la gauche communiste-russe, curieusement oubliée de nos médias, avec prêtres pourchassés, pillages, viols, crimes. Qui dira le malheur de ce peuple ?

Précisément : un consensus règne. Ne plus jamais connaître l’horreur nazie ou communiste. Norbert Höfer y veille tout autant, expulsant les « identitaires » de son parti, exigeant la destruction de la maison d’Hitler, prônant non pas le parti unique mais plus de pluralisme et de démocratie. Et cette « extrême-droite » gouverne 3 Etats sur 9, 1 avec les socialistes, 2 autres avec conservateurs et socialistes. Les hommes votent majoritairement pour lui. 5 Etats sur 9. Et 90% des communes l’ont placé en tête au premier tour. Voilà aussi une part du vote des enfants du malheur autrichien.

Si Norbert Höfer a perdu, c’est pour l’image que l’Autriche ne veut pas avoir à l’étranger, en particulier au pays de Pétain, de Doriot et de Déat, au pays d’un Mitterrand qui ne refusa pas la francisque. Elle ne veut pas de ce prétendu passé nazi autrichien. Les sondages d’après urnes le montrent : l’image internationale de l’Autriche a été la première raison du vote, l’intégration européenne la seconde et la troisième, la volonté d’une présidence symbolique plus que réelle. Ainsi va l’Autriche qui panse encore ses plaies et mérite le respect.